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Entretien avec un artiste dont l’exposition propose d’explorer l’essence de ce que signifie être humain : Ras Mosera

Par Jean-Michel Carollo
27 Septembre 2024

Nous en avions brièvement parlé dans notre édition du 3 septembre dernier, et après l’inauguration nous avons eu envie d’en savoir davantage. Une rencontre plus approfondie a donc été organisée.

Toujours dans le cadre enchanteur du 978 Sanctorum, Ras Mosera nous reçoit chaleureusement et retrace son parcours depuis sa tendre enfance jusqu’à nos jours: Joseph Henry (c’est son vrai nom) est né sur l’île de Sainte-Lucie il y a un peu plus d’un demi-siècle. Il y coule des jours heureux entre plage et nature, se familiarisant peu à peu avec ce que la beauté de celle-ci peut éveiller dans la tête du petit garçon rêveur qu’il est déjà.  Mais, la réalité de la vie quotidienne prend momentanément le dessus et il devient électricien, puis se spécialise ensuite dans la téléphonie.

Mais ce parcours professionnel qui s’offre à lui ne le satisfait pas, car déjà lorsqu’il était en classe, il ne voyait pas d’un bon œil le fait de devoir faire passer le travail avant le plaisir de vivre. Sans se marginaliser complètement, il adopte par conviction le mode de vie rasta et se consacre alors à l’artisanat en sculptant des calebasses directement récoltées sur les terres qui l’entourent. Devenu maiître en la matière, il s’exporte en Guadeloupe où ses produits font un véritable tabac. Cinq ans plus tard, c’est là qu’il rencontre celle qui va devenir sa femme, une Saint-Martinoise qu’il va suivre sur sa terre natale sans se faire prier.

LA CRÉATION AVANT TOUTE CHOSE

Il constate en arrivant à Saint-Martin que l’artisanat local n’est pas franchement développé sans doute par manque d’intérêt des habitants, et aussi des touristes davantage habitués à des produits plus stéréotypés, mais certainement moins authentiques. Qu’à cela ne tienne, Ras Mosera s’adapte et prend le parti de continuer de vivre de son art en se dirigeant vers la peinture. C’était une bonne idée puisque dès 1985, il remporte un vif succès grâce à une première exposition qu’il organise avec l’aide de Roland Richardson, le célèbre peintre impressionniste caribéen que l’on ne présente plus.

S’en suivent d’autres évènements culturels et artistiques, des soirées musique et poésie entre autres, car notre homme dont le père était musicien est également auteur compositeur. « Je ne trouve aucun plaisir à jouer la musique des autres » déclare-t-il, et c’est un peu pour ça qu’en 1997 il créé l’Axum Café, un espace dédié à toutes les formes d’art, à condition qu’elles soient originales et locales. Depuis sa naissance, l’endroit a changé plusieurs fois de place mais il existe toujours,  à l’extrémité Est de Front Street à Philipsburg. On y respire un air d’authenticité que ne renierait pas le poète dramaturge essayiste Saint-Lucien, prix Nobel de littérature, Derek Walccott, cher au cœur de Ras Mosera.

50% CULTURE 50% ÉCONOMIE

D’autres célébrités font partie de son panthéon personnel, comme Jean-Michel Basquiat avant-gardiste américain, Marc Chagall, maître du surréalisme et contemporain de Pablo Picasso que Ras Mosera vénère plus que tout, et dont il cite volontiers une de ses phrases les plus fameuses : « Quand j’étais enfant je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour dessiner comme un enfant ». Quelle belle leçon d’humilité !

Comme l’indique le titre de son exposition « Humanz », ses toiles sont des odes à l’être humain, et au-delà de la simple représentation, l’artiste y met tout son ressenti et sa philosophie de la vie: interpeller les gens sur la nécessité de vivre le moment présent avec optimisme et confiance. En effet, selon lui, l’avenir n’est pas si inquiétant qu’on veut bien nous le faire croire, à condition d’écarter toute notion de souffrance.

La région Caraïbe souffre d’un mal insoupçonné, mais pourtant bien réel selon Ras Mosera, c’est ce qu’il appelle l’illettrisme culturel. « Les terres antillaises sont gorgées de traditions trop ignorées du grand public» dit-il « Mais il n’existe aucune structure digne de ce nom pour les mettre en avant et les développer. Alors nous courons un grand risque qui va engendrer leur disparition, et sans culture il n’y a pas d’économie. Notre civilisation ne doit sa survie qu’à ses deux éléments ». Nous vous laissons y réfléchir.

Jean-Michel Carollo