Quand la raison déraille au tribunal

Lors des comparutions immédiates de la semaine dernière, les magistrats ont dû juger deux affaires complexes où le comportement des prévenus avait pour point commun des troubles psychiatriques. L’un a été condamné, l’autre pas…
Un homme de 30 ans comparaissait pour avoir proférer à maintes reprises des menaces de mort sur son employeur à Saint-Barthélemy, pour détention de stupéfiants et refus de se soumettre lors de sa garde à vue aux obligatoires prises d’empreintes et photos.
Le second, âgé de 28 ans, comparaissait lui aussi pour avoir proféré des menaces de mort, outrage à l’encontre de gendarmes de Saint-Martin, et port d’arme (une machette).
On ne vit pas dans un monde de bisounours
L’homme, Saint-Martinois d’origine, avait un contrat de six mois dans une entreprise de laverie et comme cela est fréquent à St Barth, son employeur prélevait une partie de son loyer sur son salaire. Ce qui n’était pas du goût du prévenu qui, pour récupérer ses 6000 €, menace de tuer tout le monde à plusieurs reprises, ses collègues, son employeur et sa famille. Ce dernier dépose plainte le 24 mars, pour ces menaces et de nombreux incidents depuis plusieurs mois (agressions avec une pelle et une arme blanche, détérioration de matériel). L’homme est interpellé le 13 avril, porteur de 8,79g de cocaïne. Une drogue qu’il dit avoir achetée pour une douzaine d’euros à Sint Maarten une semaine auparavant pour la revendre.
A la barre, très véhément il ne reconnait pas les menaces réitérées et indique avoir effectivement voulu tuer tout le monde, mais sous le coup de l’énervement. Ses explications sont confuses, il s’égare sur d’autres sujets, et indique que l’on ne vit pas dans un monde de bisounours et que si on lui manque de respect, on va voir son caractère. L’employeur raconte son calvaire à la barre, lui et sa femme vivant dans la peur. Il se porte partie civile et demande un dédommagement de 3000 € pour préjudice moral.
Au regard du nombre de plaintes déposées, le ministère public s’excuse de n’avoir pas pris la juste mesure des faits. L’homme est dangereux, et la vice-procureur s’inquiète de son comportement lors de l’audience. Il requiert une peine de 4 ans de prison, dont un an assorti d’un sursis simple pour le sanctionner, pour qu’il comprenne qu’il n’est pas au-dessus des lois et pour protéger la victime.
Même l’avocate du prévenu est quelque peu désemparée lorsqu’il s’agit de défendre son client, car lorsque les faits sont reconnus, la défense s’attache à plaider sur la personnalité du prévenu, or elle est obligée de l’admettre « il ne s’illustre pas par son calme à l’audience » et il a un problème comportemental qui nécessite des soins. Cependant, elle estime que 3 ans de prison ne vont pas l’aider à être moins dangereux et qu’il reviendra avec le même problème. Elle demande à ce qu’il soit condamné à une obligation de soins.
Le tribunal estime que due à sa dangerosité, la seule solution est de l’incarcérer pour protéger la société. Il est condamné à deux ans de prison, dont un an avec un sursis probatoire de deux ans. Il devra par ailleurs s’abstenir de toute relation avec la victime, suivre une formation, ne pas séjourner à Saint-Barthélemy pendant 5 ans et verser 1500 € de dommage et intérêts à son ex-employeur. Il a été déféré à Basse Terre à l’issue de l’audience.
Je demande à aller au cachot
L’homme tient des propos incohérents, mais l’on comprend qu’après avoir coupés des cocos sur la plage de Sandy Ground, il se rendait à Agrément muni d’une machette, lorsqu’il a été interpellé par les gendarmes. S’en suit insultes et crachat, ce que le prévenu justifie par un mal à la gorge l’obligeant à expectorer. La caméra piéton des forces de l’ordre a enregistré toute la scène. Lors de sa garde à vue, il demande aux gendarmes de le mettre « trois jours au cachot, car ils me connaissent bien ».
Sans domicile fixe, l’homme a un CAP de cuisinier, fait le RSMA, et arrive à gagner environ 1000 $ par mois en effectuant de petits travaux. Il bénéficie d’une allocation adulte handicapé suite à un accident de moto. Il a plusieurs addictions, au cannabis, au crack et à la bière. Il est suivi et reçoit une injection sédative tous les 15 jours.
Son casier judiciaire fait état d’une condamnation de 6 mois de prison avec sursis en 2018 pour vol, d’un an de prison dont 6 mois avec sursis et interdiction de port d’arme en 2023. Sorti de prison le 10 janvier 2024, il ne respecte pas ses obligations.
Hospitalisé plusieurs fois en unité psychiatrique, il en est sorti le 28 mars. Une première expertise psychiatrique fait état d’un homme impulsif, souffrant d’une psychose chronique et d’un état nécessitant une hospitalisation. La seconde expertise, effectuée lors de sa garde à vue, ne note pas d’anomalie si ce n’est un trouble mental dû à la consommation de psychotropes. L’homme est déclaré moyennement dangereux et réadaptable dans la société.
Pour la vice-procureur, le prévenu est accessible à une condamnation pénale, mais a surtout besoin de soins psychiatriques, car il est de plus en plus violent. Cependant, le sursis probatoire auquel il est actuellement soumis ne fonctionnant pas, elle estime qu’il faut l’extraire de la société. Elle requiert son maintien en détention, deux ans de prison ferme et une interdiction de port d’arme pendant cinq ans.
L’avocate commis d’office, admet qu’il y a un souci, car l’homme à un comportement déviant avant de devenir agressif. Cependant, pour elle, son trouble psychiatrique n’est pas compatible avec une incarcération, et demande à ce que la Cour réfléchisse à une hospitalisation complète.
Le prévenu à qui revient le dernier mot dira simplement : « 2 ans de prison, pas de problème ! ».
Après une très longue délibération, le tribunal décide que si l’homme a matériellement commis les faits, il n’en est pas responsable en raison de sa pathologie psychiatrique, et pas en état de mesurer ses actes. L’homme repart, libre comme l’air, avec un grand sourire.
