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Témoignage poignant et troublant de la fille d’Hubert*, l'homme décédé le 30 juillet des suites du Covid

07 August 2020
Une 16e personne est décédée des suites du Covid-19 le 30 juillet dernier, au Sint Maarten Medical Center (SMMC). Un monsieur de 71 ans, originaire de Saba et résident de Quartier d'Orléans en partie française. Retraité de la partie hollandaise, après avoir effectué une partie de sa carrière professionnelle au sein des services de l’ordre de Sint Maarten, ce monsieur coulait paisiblement depuis 2009 ses jours de retraite à Quartier d’Orléans. Ayant été témoin d'anomalies et face à certaines incompréhensions quant à la prise en charge médicale de son père, sa fille, Norma*, nous a contactés pour nous raconter.
 
Un cas typique de l’île de Saint-Martin
 
Diabétique, ce monsieur que nous nommerons Hubert, était suivi régulièrement pour sa maladie et ne présentait pas de complications particulières. Vivant seul, il avait ses habitudes à Quartier d’Orléans, notamment celui de se poster le matin sur sa terrasse pour prendre son petit-déjeuner. Au matin du 17 juillet dernier, ses voisins ne l’ont pas vu sur sa terrasse comme les autres matins. Etonnés et aussi inquiets, ils contactent sa fille, Norma, qui vit à Marigot. Norma jouit, elle, de la double nationalité, française et néerlandaise. Une situation fréquente et commune pour les saint-martinois de souche, où le territoire ne représente qu’une seule île, mais ô combien problématique administrativement pour eux...
 
Un premier passage au SMMC de Sint Maarten ; pas de test Covid
 
Immédiatement après l’appel des voisins, Norma arrive chez son père en cette matinée du vendredi 17 juillet. Elle le découvre affaissé sur le sol, très affaibli et sans la force de se relever. Il serait tombé vers 4 heures du matin et serait resté à terre jusqu’à 8 heures, heure de son arrivée. Elle le prend en charge, arrive à le mettre dans sa voiture et prend la direction de l’hôpital de Sint Maarten, sachant que son père est bénéficiaire de la sécurité sociale néerlandaise.
Hubert a de la fièvre, a du mal à respirer. Après auscultation, les médecins du SMMC, ne décèlent rien de très inquiétant, lui prescrivent du Paracétamol et des antibiotiques et informent Norma qu’elle peut le raccompagner à son domicile. A ce stade, pas de test pour le Covid-19.
 
Un second passage aux urgences du CHU de Saint-Martin ; pas de test Covid
 
Après avoir raccompagné son père à son domicile et demandé aux voisins d’avoir une surveillance sur lui, Norma repart et se rend à son travail. Vers 18h30, elle est à nouveau appelée en urgence par les voisins, son père est une nouvelle fois tombé et semble être encore plus faible que le matin. Cette fois, Norma ne peut pas transporter seule son père et elle contacte les pompiers de Saint-Martin. Ces derniers arrivent, prennent en charge Hubert et l’emmènent au Centre hospitalier de Saint-Martin, à Concordia, après avoir contacté le médecin du SAMU. Pendant le transport, Norma indique aux pompiers que son père ne bénéficie pas de la sécurité sociale française et précise qu’elle règlera les frais.
 
Un renvoi vers Sint Maarten sans stabilisation du patient
 
Arrivés à l’hôpital L-C Fleming de Saint-Martin, les pompiers déchargent de leur véhicule Hubert qui est installé sur le brancard et pénètrent dans la zone d’admission des urgences. Pendant ce temps, Norma se rend à l’accueil des urgences pour faire le dossier d’admission de son père. Elle précise à la personne de l’accueil que son père n’est pas bénéficiaire de la sécurité sociale française et qu’elle est en mesure de régler les frais. La personne de l'accueil lui fait remplir les documents nécessaires à son admission et lui indique le montant qui sera à régler. Norma s’apprête à effectuer le règlement quand le médecin urgentiste arrive dans le bureau de l’accueil et indique que ce monsieur qui ne bénéficie pas de la sécurité sociale française ne sera pas pris en charge par l’hôpital de Saint-Martin et qu’il doit se rendre à l’hôpital de Sint Maarten.
Interloquée par cette décision soudaine, alors que son père se trouve dans un état de santé critique, et est déjà dans les locaux des urgences de l’hôpital, elle demande qu’il soit au moins ausculté et stabilisé dans un premier temps, avant d’être transporté. La réponse est négative et les pompiers ressortent le brancard des urgences. Norma est scandalisée devant le comportement du médecin urgentiste qui n’a pas daigné lui parler en toute confidentialité, et lui a crié à travers une vitre que son père ne pouvait être admis dans l’hôpital. Il ne l’a pas non plus rassurée sur l’état de santé de son père pour un transport, ni proposé de faire appel à une ambulance pour faire le voyage jusqu’à Sint Maarten. Ce sont les pompiers qui tentent de la rassurer en lui précisant qu’au moins le taux de glucose de son père a été stabilisé, et ce sont encore eux qui l’aident à placer son père très affaibli dans son véhicule.
A noter qu’à ce stade encore, aucun test Covid-19 n’est fait, ni même prescrit, alors que selon Norma son père possède déjà tous les symptômes du virus.
 
Au SMMC, un test Covid a été réalisé 6 jours après l’admission du patient
 
Hubert est finalement hospitalisé au SMMC et est placé dans une chambre avec quatre autres patients. Fiévreux et tremblant, Hubert ne semble pas aller mieux, malgré les traitements reçus. Au contraire, son état s’empire chaque jour avec d’importantes difficultés respiratoires. Les médecins le mettent sous oxygène et lui font différents examens qui concluent à une embolie pulmonaire. Plusieurs jours passent et Norma lui rend visite chaque jour dans cette chambre d’hôpital où sont présents 4 autres malades. Le 23 juillet, soit 6 jours après son admission, les médecins décident de lui faire le test du Covid-19. Les résultats tombent dans la journée : ils sont positifs. Hubert est immédiatement placé dans l’unité Covid du SMMC, et Norma a interdiction de venir le voir à compter de ce jour. Ce jeudi 23 juillet sera le dernier jour où Norma verra son père vivant ; son état s’est aggravé et Hubert s’est éteint une semaine après, le jeudi 30 juillet. Comme l’oblige le protocole, son corps a été incinéré moins de 36h après le décès.
 
Le cas contact le plus probable n’est testé que 4 jours après
 
Apprenant le 23 juillet les résultats positifs de son père au Covid, Norma qui vit à Marigot avec son mari et ses deux enfants, décide de s’auto-isoler dans sa chambre. Elle contacte le service du SAMU, le 15, pour savoir ce qu’elle doit faire. Le SAMU la redirige vers l’ARS qui lui indique avoir déjà été informée par ses homologues de la partie hollandaise, le CPS. L’ARS lui établit une ordonnance pour se faire dépister. Elle n’obtient un rendez-vous que 48 heures plus tard et les résultats de sa positivité au Covid tombent le 27 juillet. Dès lors, elle se place en quarantaine à son domicile.
Norma sait que depuis le 17 juillet, malgré l’état de santé de son père, elle est retournée travailler dans son entreprise qui compte quelque 18 personnes, qu’elle a par ailleurs dans cet intermède côtoyé des amis et d’autres personnes… Elle en informe l’ARS qui lui indique faire l’enquête sur les éventuels cas contacts.
Nous avons contacté l’employeur de Norma qui nous a indiqué avoir contacté de son propre chef l’ARS, qui lui aurait recommandé de faire tester l’ensemble de ses employés. Ce qu’il a fait. Les tests sont tous revenus négatifs.
 
Des 2 côtés de l’île : dysfonctionnements et interrogations
 
C’est un témoignage, poignant, dont Norma nous a fait part, révélateur de dysfonctionnements et porteur de plusieurs interrogations.
En effet, pourquoi les médecins du SMMC qui ont vu pour la première fois Hubert, n'ont pas instamment soupçonné un cas de Covid et l'ont laissé repartir chez lui avec du Paracétamol et des antibiotiques ?
Pourquoi le médecin urgentiste de l’hôpital de Saint-Martin, a-t-il eu cette réaction soudaine et peu respectueuse alors que l’état de santé d’Hubert était critique ? Nous avons posé la question à la directrice de l’hôpital qui ne nous a pas donné pour l’heure d’explication. Selon nos sources, les médecins de l’hôpital de Saint-Martin auraient reçu des directives de leur direction afin de ne plus admettre de patients bénéficiaires de la sécurité sociale de Sint Maarten. Des dispositions qui auraient été prises pour faire face à l’important déficit accusé par le budget de l’hôpital.
Enfin, pourquoi le SMMC de Sint Maarten n’a toujours pas fait de test Covid au moment de la seconde arrivée de ce malade le 17 juillet, qui présentait a priori tous les symptômes du virus, et a attendu 6 jours pour le faire, au risque de contaminer d'autres personnes (pour rappel, Hubert a été placé dans une chambre avec 4 autres patients…) ? A cette question, Norma pense détenir la réponse : le protocole sanitaire du Covid n’aurait tout simplement pas été respecté…
Au regard de ce récit vécu, nous ne pouvons que constater qu’une fois encore, la séparation entre deux Etats, avec deux administrations de ce petit territoire de quelque 90km2, ne sert ni sa population, ni l’efficacité de son fonctionnement. Quant à la gestion d’un cas de Covid dans cette période de crise, elle laisse clairement pantois…
Témoignage recueilli par Valérie Daizey
*Par souci de respect et de confidentialité envers cette famille, nous avons volontairement, et avec son accord, changé les prénoms.