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Un portrait, un métier, une histoire : Emmanuel, éleveur à Colombiers

Par Ann Bouard
04 February 2019
C’est Steph Déziles, pour « Face of Saint-Martin », qui a pris ce cliché d’Emmanuel Gimenez avec l’un de ses bovins … une photo, qui au-delà de la douceur qui émane de l’homme et de la bête, illustre un métier, souvent méconnu, parfois oublié, celui d’éleveur. Pourtant, avec le sel et le guavaberry, l’élevage fait partie des productions locales, les vraies, et constitue l’un des fleurons du patrimoine historique de Saint-Martin.

Lorsque l’on rencontre Emmanuel, il est impossible de ne pas parler d’histoire et de patrimoine, tant il est attaché à ces valeurs. Des valeurs, héritées de sa famille qu’il entend bien faire perdurer pour les transmettre à ses enfants, mais aussi à toutes les générations futures. 

LES RACINES

Né à Saint-Martin, d’un professeur franco-espagnol et d’une mère issue d’une grande famille saint-martinoise, Emmanuel a reçu en héritage toute la mixité de l’île et bien plus encore… Son grand-père, tour à tour mécanicien, ingénieur télégraphe, fondateur de la compagnie Winair dans les années soixante, figure parmi les pionniers de l’époque. Mais dans la famille, c’est son grand-oncle, Vere Richardson, qui est attaché à la terre et qui durant toute sa vie aura à cœur de s’occuper du village de Colombiers. A cette époque, avant l’arrivée du tourisme, il y avait entre 10 000 et 20 000 têtes de bétail à Saint-Martin. L’île était alors le grenier à viande de la Guadeloupe. Emmanuel aurait pu tout simplement suivre leurs traces, mais il en décide autrement.

DU MANAGEMENT À LA TERRE

Au divorce de ses parents, il suit son père à Belgrade, fait un apprentissage en hôtellerie avant de s’envoler vers l’Irlande où il rencontre la future mère de ses enfants. Petit détour à Carcassonne et retour en Irlande comme agent chez RCI. Il y gravit tous les échelons avant de poursuivre sa carrière chez Amazon et ouvrir les services clientèles du géant de la vente en ligne dans plusieurs pays. Au bout de douze ans en Irlande, fort de dix ans d’expérience dans le management, sa carrière est toute tracée… mais le manque se fait sentir. Celui de sa famille et des espaces de son enfance dont il veut faire profiter son fils et sa fille. Dans une logique de carrière, il intègre Caribbean Liquors, mais l’idée, qui jusqu’alors ne l’avait jamais effleuré, de reprendre la tradition familiale s’impose. Vere tente de l’en dissuader, conscient des difficultés de ce métier. 
Par amour de sa terre et respect de sa famille, il veut sauver ce dernier bastion identitaire de l’île et saute le pas en 2012. Les débuts sont difficiles, le cheptel est en mauvais état, et, pour son premier jour sur la ferme, il doit enterrer une vache. Qu’à cela ne tienne, il apprend à faire des piqures et aidé de Ketnel, employé fidèle depuis 40 ans, développe à nouveau la ferme. Aujourd’hui, il veille sur les 40 hectares de son grand-oncle et compte un troupeau de 80 bovins.

LE RENOUVEAU DE L’AGRICULTURE

Emmanuel est conscient que pour vivre de l’agriculture aujourd’hui, il faut revenir à un élevage traditionnel, le plus bio possible. Comme pour tout ce qu’il entreprend, il se lance à fond pour faire bouger les choses. Une implication qui lui vaut le départ de sa femme et de ses enfants, ce qui le laisse meurtri mais avec une rage nouvelle, celle de construire un nouveau patrimoine, pour eux. Il passe un diplôme de technicien inséminateur à la Bergerie Nationale de Rambouillet. Seulement 25 sociétés en France sont spécialisées en la matière, la sienne est la 26ème. Cela va lui permettre d’améliorer le patrimoine génétique de l’île. L’insularité et les normes drastiques rendent en effet compliquée la venue d’un taureau alors qu'une insémination ne coûte que 40 €. Emmanuel, qui ne veut pas être un « simple pousse paillette » intervient en tant que conseiller et étudie chaque bête afin de choisir la semence pour améliorer la qualité de la production. Son prochain challenge ? une formation de pointeur bovin pour pouvoir mesurer les animaux, planifier les abattages, définir la capacité de production, créer des statistiques, un label local, un label bio… Tout cela en poursuivant ses activités, au sein de la coopérative qui réunit les principaux éleveurs de l’île, au conseil d’administration de l’ODEADUM … Emmanuel est sur tous les fronts !

Ann Bouard