Le Billet d'O.

Parce que les hommes sont devenus Achille : assoiffés de rage et de vengeance dans l'Illiade, mue par son ire insatiable et meurtrière, Homère le dépeindra comme un demi-dieu égaré par son hubris. Un héros sauvage qui pendant plusieurs jours souillera le corps sans vie d'Hector.

Les dieux grecs veulent la guerre, détournent les hommes de la concorde, provoquent en mensonges sans jamais trancher la frontière entre le bien et le mal, et c'est là le malheur des hommes, jouets du divin.

Mais Homère nous montre que cette religiosité déviant l'homme de sa ligne de vie est faillible, et humble en tenant un miroir, il nous offre une conduite : celle de notre propre âme. Par le tumulte des flots de l'Odyssée et les ruses d'Ulysse, l'aède renvoie les dieux à leur monde sans choix, et pousse l'homme dans l’opiniâtreté de ce qui doit être son idée fixe, sa condition : la constance, de celle qui mène au but, à la vie paisible aux côtés de Télémaque et Pénélope. Ulysse vivra ses aventures et son aventure intérieure comme la liberté de mener sa barque à bon port, grâce au fameux kairos grec, l'art de saisir l'instant, l'occasion, la volonté faite homme (lisez Jankélévitch!). Le kairos c'est refuser l'attente de l'au-delà dédouanant et rédempteur comme l'imposent les religions monothéistes, c'est prendre le réel, parce que tout est là. Pourquoi s'inventer un paradis alors qu'il est là, lumineux sur le bouclier d'Achille (les plus beaux vers de l'Iliade). Alors, que finissent les guerres et les aventures ! Qu'Ulysse rentre chez lui!

Voilà l'obsession de l'homme libre, nous affirme Homère : tout se conquiert, rien n'est acquis à l'homme, et que rechercher sa place c'est se replacer avec harmonie dans le destin paisible de l'homme. Ne réveillez pas la colère d'Achille ! Soyez Ulysse.