Affaire Beauperthuy - Webster : en attente du verdict
Par Ann Bouard
14 October 2022
A l'heure où la Métropole est entièrement bloquée par des grévistes qui ont des revendications pourtant privées (hausse de salaire) mais qui n’encourent pas pour autant une sanction judiciaire, à Saint-Martin, trois personnes étaient jugées hier pour avoir bloqué en janvier, durant trois jours, la circulation sur une partie de l’île. Les frères Webster avaient, après de multiples procédures, eu recours à cet ultime action pour attirer l’attention sur un dossier épineux pour le foncier à Saint-Martin, la succession Beauperthuy.
En préambule, la juge du tribunal a fait le résumé des faits dont tout le monde se souvient, le blocage de la RN7 par des engins de chantier au niveau de Griselle, et rappelé aux trois frères présents au tribunal le chef d’inculpation : entrave à la circulation des véhicules sur une voie publique du 24 au 27 janvier.
Le point de vue de l’accusation
Le filtrage dans un premier temps, l’interdiction de passer ensuite a impacté les résidents de cette partie de l’île. 19 « victimes » se sont constituées parties civiles, dont sept d’entre elles étaient représentées par un avocat.
De l’euro symbolique pour préjudice moral, à 800 € pour perte de salaire ou 1000 € pour fermeture d’un atelier pendant deux jours, jusqu’à 10 000 € pour perte de chiffre d’affaire, les demandes de dommages et intérêts sont très variables. L’avocat qui représente sept d’entre elles, estime que rien ne justifie de prendre en otage des personnes pour une cause particulière. Il admet par ailleurs que toutes ces personnes sont allées porter plainte contre X et que ce sont les gendarmes qui leur auraient indiqué que c’étaient les Webster qui étaient en cause. Il poursuit en disant que certains en avaient d’ailleurs contre l’état et reprochaient à la Préfecture de ne pas avoir fait lever le blocage, par la force si nécessaire. « On ne doit pas faire passer les intérêts privés avant l’intérêt général » estime-t-il. Il a demandé 1000 € par personne pour prise en charge de leurs frais.
Le point de vue du ministère public
Juridiquement les faits sont simples et les trois frères ne contestent pas l’entrave à la circulation. La vice-procureur, estime que la volonté était de faire pression sur la justice, puis sur l’état pour protester contre l’adjudication du terrain. Selon le Ministère Public la famille se rendait chaque jour à la Préfecture et incitait la presse à relayer ces échanges à grand renfort d’articles : « ils se sont laissés déborder par une population transie d’amour et vindicative à l’endroit de la justice française. Ce blocage faisait suite à ceux de novembre et cela avait un impact pour la population».
Elle requiert pour les trois frères un stage de citoyenneté de 3 jours, à leurs frais, à effectuer sous six mois. La peine est assortie de l’exécution provisoire, et en cas de non-exécution du stage, elle sera permutée en trois mois d’emprisonnement.
Le point de vue de la défense
L’avocat de deux des frères estime que cette affaire, d’une complexité inédite, aurait pu faire l’objet d’une simple ordonnance pénale d’autant qu’il y a dans le dossier tout un tas d’éléments qui ne la concerne pas directement. D’autre part, il indique que l’appel au rassemblement a été donné non pas par la famille Webster mais dès le 23 janvier sur les ondes de Ghetto News, et que les photos produites au dossier ne permettent pas d’identifier le conducteur de l’engin de chantier qui bloque la route. Sur le second engin c’est Richard qui est identifié. Les deux véhicules légers sont quant à eux sur un terrain privé. « On ne peut pas entrer en voie de condamnation pour Randy et Rudolphe car ils ne sont pas les propriétaires des engins de chantier ». Concernant les demandes des parties civiles, « on a l’impression que leur revendications vont vers la Préfecture, et que les sommes réclamées, non étayées pour certaines, laissent croire que ces personnes ont confondu la justice avec la loterie nationale ». Il a demandé la relaxe pour ses clients.
Le verdict du tribunal sera rendu lors de l’audience du 10 novembre prochain.
Une mobilisation populaire et institutionnelle |
Si aujourd’hui, les frères Webster sont seuls sur le banc des accusés, en janvier dernier la famille avait reçu le soutien de toute une partie de la population, de certains syndicats ou collectifs, mais également des instances locales, venues dialoguer ou les soutenir sur le barrage.
Daniel Gibbs alors Président de la Collectivité avait indiqué en référence à la vente aux enchères de la parcelle qui avait mis le feu aux poudres, « il s’agit de lutter contre un jugement dans une situation compliquée et il faut essayer de trouver une solution ». Louis Mussington, alors chef de file du RSM, avait appelé la population à se faire entendre face à cette nouvelle absurdité :
« le foncier est à Saint-Martin et faire les choses en catimini (en Guadeloupe) a des conséquences graves sur la vie économique et sociale de l’île. C’est scandaleux car l’État est au courant de cet état de fait. La population ne doit pas accepter l’inacceptable et doit se mobiliser ». Le Préfet de l’époque, Serge Gouteyron, s’était lui positionné comme médiateur pour tenter de renouer les discussions avec l’administrateur de la succession. Ensemble, Collectivité et État avaient sollicité un entretien auprès du Garde des Sceaux, auquel le Ministère de la justice avait répondu favorablement. Daniel Gibbs, le préfet Gouteyron, Randy et Rudolphe Webster avait été reçu le 16 février. De cet entretien est née une mission de l’inspection générale de la justice. Venue étudier la situation à Saint-Martin, elle devrait remettre dans le courant du mois au ministre un rapport précis et détaillé sur chacune des ventes orchestrées jusqu'à présent dans le cadre de la succession Beauperthuy. L'affaire semble bien aller au-delà d’une simple situation familiale. |
Ann Bouard