Agression sexuelle en réunion : la parole de deux hommes contre celle d’une femme qui a perdu la mémoire
Une sordide affaire d’agression sexuelle en réunion était jugée jeudi dernier au tribunal, en audience correctionnelle. Marie*, 28 ans au moment des faits, attend ce procès depuis plus de deux ans, pour tenter de parvenir à tourner la page et se reconstruire.
Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2020, la vie de la jeune Marie* bascule. Elle a 28 ans au moment des faits, vit à Saint-Barthélemy depuis environ une année où elle est infirmière à l’hôpital de Bruyn. Après les longs mois éreintants et anxiogènes de la crise sanitaire du Covid, le 5 septembre de cette année 2020, une soirée est organisée à l’occasion de l’anniversaire d’un homme, sapeur-pompier volontaire à Saint-Barthélemy. D’ordinaire introvertie, Marie sera décrite dans le cadre de l’enquête par bon nombre de ses amis comme une personne « réservée, discrète, timide, peu sociable… », elle est encouragée par deux de ses collègues et amies, à se rendre à cette soirée. Une soirée somme toute banale, avec de la danse et de l’alcool. Marie indique y avoir bu jusqu’aux environs de minuit et demi, environ deux bières et un verre de rhum. Ses amies, avec qui elle est venue à cette soirée, toutes deux nauséeuses, quittent la soirée vers 1h du matin et Marie, qui est venue avec sa voiture, envisage de partir peu après.
LE TROU NOIR POUR MARIE…
Ensuite, c’est le trou noir pour elle ; elle ne se souvient plus de rien de la suite de cette nuit, jusqu’à 6 heures, hormis quelques flashes, dont un dans une piscine où elle s’est sentie couler et l’autre dans un appartement qu’elle ne connaît pas. Le lendemain matin, c’est sa voisine et amie, qui, inquiète qu’elle ne soit pas rentrée de la nuit, car cela n’est pas dans ses habitudes, guettera son arrivée et la trouvera sur le pas de sa porte, chancelante et tremblante, habillée d’un tee-shirt et d’un caleçon d’homme, ne parvenant pas à rentrer la clé dans la serrure et prononçant ces mots : « je veux rentrer chez moi, je veux rentrer chez moi ». Son amie l’invite à parler, mais Marie reste prostrée. Une autre amie, médecin, constate toutefois d’importants hématomes et ecchymoses sur ses bras et ses jambes. Des clichés sont pris.
… UNE SEULE VERSION, CELLE DES PRÉVENUS
Marie n’ayant aucun souvenir, ce qui s’est passé entre 1 heure et 6 heures du matin sera finalement raconté à la barre par l’un des prévenus, le seul sur les deux auteurs soupçonnés de cette agression sexuelle à s’être présenté à la convocation du tribunal, l’autre ayant quitté le territoire. Le prévenu présent à la barre a 26 ans au moment des faits, l'autre, absent, a 28 ans. Ils sont tous les deux sapeurs-pompiers volontaires au moment des faits. Le prévenu présent indique avoir effectivement remarqué cette jeune femme discrète et réservée en début de soirée, mais dont le comportement aurait changé au cours de la soirée, « désinhibée par l’alcool », prétend-il. Il aurait vu Marie se blottir contre son compère, tout en portant sur lui des regards aguicheurs… Les signaux lui auraient semblé au vert pour « un plan à trois ». Vers 5 heures du matin, il dit avoir proposé de partir voir le lever de soleil. Les deux hommes partent avec Marie, qui laissera sur place toutes ses affaires, son téléphone, son sac et ses clés de voiture. Signes, sans doute, que Marie n’était pas dans son état normal. Et inspecté par les enquêteurs, le téléphone de Marie fera pas la suite une révélation troublante : l’homme prévenu et présent à la barre en était devenu l’administrateur… Des faits qu’il justifiera en indiquant avoir pris le téléphone de Marie pour enregistrer son numéro.
Toujours selon le prévenu à la barre, Marie et les deux hommes quittent la soirée où il n’y a plus grand monde et se dirigent vers une plage. Ils s’arrêtent en route et décident de plonger dans la piscine d’un hôtel. Pour y accéder, il faut enjamber une barrière. D’après l’homme, c’est cette barrière qui serait la cause des bleus sur les jambes et les bras de Marie. Marie, elle ne se souvient de rien… Juste de ce flash dans cette piscine où elle coulait et où on tentait de la pénétrer. Le prévenu à la barre indique en effet que des jeux sexuels, consentis de tous selon lui, ont été entrepris dans cette piscine, « mais qu’à cause du froid et des moustiques ils n’ont pas pu avoir d’érection ». Ils ont donc décidé d’aller plus au chaud, dans l’appartement de Marie. Et c’est sur le chemin, assise à l’arrière de cette voiture, encombré de nombreux détritus, que Marie se serait fait mal aux fesses… Car oui, Marie après cette nuit a passé plusieurs jours sans pouvoir s’asseoir…. Mais au lieu d’arriver chez la jeune femme où elle était censée les conduire, ils se retrouvent dans l’appartement d’une personne, un homme inconnu d’eux tous. Devenu témoin dans l’enquête qui a suivi les faits, cet homme indiquera aux enquêteurs que les deux hommes semblaient corrects et polis, alors que la jeune femme paraissait incohérente et exubérante. Selon l’avocate de la partie civile, Me Tillard, se rendre chez cette personne inconnue relevait certainement d’un « instinct de survie de la part de Marie pour alerter de sa situation ». Les deux hommes et la jeune femme seraient repartis de cet appartement pour finalement se rendre dans celui du second prévenu, absent à l’audience. Et c’est là que le plus grand calvaire de Marie aurait débuté, où elle aurait été violée par les voies vaginale et anale. Un épisode sexuel pour lequel Marie aurait été consentante, selon les prévenus, mais ils avouaient toutefois « avoir eu recours à des lubrifiants, tant le sexe de Marie était fermé ». Le prévenu à la barre prétendait finalement que ni l’un ni l’autre n’ont pu avoir d’érection, et n’ont pratiqué que des cunnilingus et des pénétrations digitales. Toutefois, parmi des éléments retrouvés sur place, du sperme aurait été retrouvé dans un mouchoir. De même que le maillot de bain de la jeune femme, « qui a été remis aux enquêteurs après avoir été lavé », a souligné Me Tillard.
DES EXPERTISES MÉDICALES RÉVÈLENT UN IMPORTANT ÉTAT POST-TRAUMATISME
Après ces faits, Marie dit s’être renfermée de plus en plus sur elle-même, être restée dans le déni et sans aucun souvenir, n’est pas allée porter plainte auprès de la gendarmerie. Elle ne l’a fait qu’un mois plus tard, le 5 octobre 2020. Hormis une infection urinaire qu’elle a contractée quelques jours après les faits, les expertises médicales effectuées un mois après ne révélaient pas d’agressions sexuelles. Ni d’ingestion de substance toxique, type GHB (plus communément appelée drogue du violeur, NDLR). Seules les photos prises de ses bleus et autres ecchymoses sur les bras et les jambes ainsi que cette infection urinaire dont la bactérie était d’origine intestinale, seront finalement les preuves fournies au dossier. Mais aussi des expertises psychiatriques de Marie qui confirment un grave état post-traumatique qui n’est toujours pas résorbé à ce jour, voire a augmenté, plus de deux ans et demi après cette soirée du 5 septembre 2020. En effet, Marie, pourtant née à Saint-Martin, a quitté quelques mois l’île de Saint-Barthélemy et a été mutée à Saint-Pierre-et-Miquelon. « La vie à Saint-Barthélemy était devenue insupportable, je ne voulais plus sortir, ni voir personne. L’île est petite, j’avais peur de recroiser ces deux hommes à chaque coin de rue », nous confiait-elle. Elle s’est ensuite mise en disponibilité, ne travaille plus pour l’heure et vit désormais dans le sud-ouest de la France, auprès de sa famille. Elle est toujours suivie psychologiquement par deux voies différentes.
ENJEU DES DÉBATS : DÉTERMINER S’IL Y AVAIT CONSENTEMENT MUTUEL
Une sordide affaire qui se retrouve à être jugée dans le cadre d’une audience en correctionnelle puisqu’elle a été qualifiée d’agression sexuelle commise en réunion. Si elle avait été qualifiée de viol dès le départ, une instruction aurait été ouverte et l’affaire aurait été jugée aux assises. En correctionnelle, l’affaire étant qualifiée d’agression sexuelle, tout l’enjeu des débats et les conclusions du tribunal reposent sur le fait de savoir si Marie était consentante ou pas. Marie ayant un trou noir de toute cette nuit, c’est seulement la parole des prévenus qui peut être entendue. Maître Tillard, l’avocate de Marie a brillamment exposé les défaillances constatées dès le départ de l’enquête, avec des auditions quasi menées à charge de celle qui devait être considérée comme la victime, la négligence de l’étude du téléphone portable de Marie… Me Tillard arguait même un courrier d’excuses adressé à la suite à Marie par le commandant de gendarmerie de la compagnie de Saint-Martin et Saint-Barthélemy de l’époque. Des carences alourdies encore par la lenteur judiciaire avec une affaire renvoyée à quatre reprises. « Quatre rendez-vous manqués, auxquels Marie s’est à chaque fois déplacée, depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, et jeudi dernier depuis l’Hexagone, alors que le second prévenu n’a pas daigné se présenter à la convocation », s’exclamait l’avocate.
Le procureur demandait au tribunal d’entrer en voie de condamnation et requérait quatre années d’emprisonnement assorties de deux années de sursis pour celui qui semblait avoir joué le rôle le plus important et était absent à l’audience et trois années d’emprisonnement dont deux années avec sursis pour le prévenu présent à la barre. Le tribunal rendra son délibéré le 27 avril prochain. Une décision attendue fébrilement par Marie qui espère à partir de ce moment-là pouvoir reconstruire sa vie.
*Le prénom de la jeune femme a été volontairement changé