Jardins de Spring : Vingt ans après, l’affaire de destruction de l’immeuble à nouveau au tribunal
Le 4 avril 1998, un immeuble situé à Concordia était détruit avec l’intervention de la force publique. Les occupants étaient expulsés par les gendarmes sur demande du président du tribunal de Basse-Terre. Vingt ans plus tard, l’affaire revient devant la justice. Une justice que les copropriétaires accusent d’avoir voulu étouffer les faits de destruction d’immeuble en bande organisée. Rappel des faits…
L’affaire, pendante depuis vingt ans, devant le TGI (Tribunal de grande instance) de Basse-Terre, en Guadeloupe, vise à l’indemnisation des copropriétaires de l’immeuble Jardins de Spring « pour la démolition sauvage de leur immeuble ». Le 4 avril 1998, les forces de l’ordre ont expulsé, par la force, les occupants de l’immeuble « et permis à une bande casseurs, commandés par un administrateur judiciaire fou, de détruire l’ensemble des équipements intérieurs du bâtiment et l’éventration de toute la partie arrière de l’immeuble », selon les copropriétaires.
Pour ces derniers, le concours de la force publique a été, lors des faits, « accordé illégalement par le sous-préfet de Saint-Martin à l’administrateur judiciaire désigné par une ordonnance, sur pied de requête du président du TGI de Basse-Terre en date du 16 janvier 1998, confirmé par une ordonnance du 10 mars 1998, du même juge ». Ce dernier, « faisant droit à une requête du syndic de copropriété, a donné mandat » au dit administrateur, « d’exécuter les décisions prises lors d’une réunion en date du 15 novembre 1996 », et « intitulée faussement Assemblée générale des copropriétaires ».
Un administrateur judiciaire sans assurance
Cette démolition a été fixée « sur la base d’un procès-verbal d’une réunion des copropriétaires de l’immeuble, faussement intitulé Assemblée Générale, prétendant que des votes ont eu lieu, confirmant la volonté des copropriétaires de démolir l’immeuble, plutôt que de le vendre (…) Un procès-verbal qui est un faux, reconnu par son auteur devant le juge d’instruction, mais non sanctionné par les juridictions pénales ».
Pour les copropriétaires, « ces démolitions relèvent de la destruction sauvage et non d’une démolition conforme aux règles de l’art », et résulte « non pas de l’exécution prétendue de l’ordonnance précitée mais de la volonté commune de l’administrateur et du président du TGI de Basse-Terre, M. Philippe Alenda, de faire cesser les travaux de réhabilitation entrepris sur l’immeuble par un groupe de copropriétaires ». Ainsi, « les copropriétaires ont assigné l’administrateur judiciaire, son assureur responsabilité civile, ainsi que l’assureur des copropriétaires d’un certain nombre de lots, la Compagnie AXA ».
En cours de procédure, il est apparu que « l’administrateur judiciaire n’était pas couvert par une police d’assurance » et qu’il avait été désigné « illégalement, sur la liste des administrateurs judiciaires par le parquet de Basse-Terre ».
Une intervention préfectorale jugée illégale
Selon les copropriétaires de la résidence Jardins de Spring, la démolition est intervenue dans des conditions « engageant non seulement la responsabilité du ministère de l’Intérieur », puisque la Cour administrative de Bordeaux a déclaré l’intervention du sous-préfet illégale. Mais elle engage aussi « la responsabilité du ministère de la Justice, le président du tribunal étant intervenu personnellement, par téléphone, auprès du sous-préfet, pour soutenir l’action de l’administrateur », ce dernier « ayant été désigné, sans être couvert par un assureur ».
La demande d’indemnisation vise donc l’Etat, les héritiers de l’administrateur François Fervel, suite au décès de ce dernier fin 2011, et la société AXA, assureur d’une partie des copropriétaires.
Suite au témoignage sous serment, en juillet 2011, de l’entrepreneur qui a mené la démolition, les propriétaires ont saisi le juge « de la mise en état d’une demande de provision, pour les six lots qui étaient assurés auprès de la compagnie AXA, dont la garantie attentat, actes de vandalisme, actes de sabotage et terroriste, pouvait être actionnée ».
Saboter les travaux de réhabilitation
L’attestation de l’entrepreneur, qui a procédé à une partie de la démolition, « ne laisse aucun doute sur les motifs de l’intervention de l’administrateur, le 4 avril 1998, qui n’a nullement agi en vue de démolir l’immeuble, mais en vue de saboter les travaux de réhabilitation qui étaient en cours, et de rendre définitivement impossible toute réhabilitation de l’immeuble ». D’autant que la démolition n’a jamais été conduite à son terme.
Malgré ce témoignage, « la plainte pénale contre l’administrateur s’est soldée par un non-lieu, comme un grand nombre d’autres procédures qui ont été l’objet de déni de justice des juridictions de Basse-Terre ».
Pour les copropriétaires, « la juridiction de Basse-Terre a couvert des crimes et délits pendant près de vingt ans en tentant par tout moyen d’étouffer l’affaire de destruction d’immeuble en bande organisée (…) Aujourd’hui il est urgent (…) De faire condamner l’assureur AXA, dont la garantie est incontestable pour les actes de sabotage et de vandalisme avérés, à payer le préjudice et notamment à faire démolir les vestiges de l’immeuble et faire entièrement nettoyer le site ».
Un site non sécurisé
Le 4 avril 2018, un huissier de la place, à la requête de l’ancien sous-préfet de Saint-Martin également propriétaire dans la résidence, Pierre Jean Etchegoyen, devait constater « que les démolitions du site n’ont jamais été achevées, que les déchets de béton ferraillés n’ont pas été évacués, que le site est sans aucune protection dans un milieu urbain, que la situation perdure depuis de très nombreuses années, qu’après le passage du cyclone Irma, aucune intervention ne s’est déroulée sur le site ».
De même que « compte tenu de la proximité immédiate des habitations dans la même rue, ainsi que des écoles, l’absence de protection sur le site est susceptible de causer des dégâts pour les tiers », un ensemble de faits constatés par l’huissier de justice.
Vingt ans plus tard, l’affaire revient sur le devant de la scène juridique guadeloupéenne avec comme avocat de la partie civile, un ténor du barreau, maître Gilbert Collard. A suivre…