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Un médecin accusé de violences physiques, psychologiques et sexuelles

Par Ann Bouard
03 May 2023

L’affaire était attendue car le prévenu est un médecin généraliste de l’île. Son avocate a d’ailleurs demandé dès le début de l’audience le huis clos ne souhaitant pas que la presse soit présente vu la notoriété de l’homme. Le huit clos étant requis pour protéger les victimes et non les prévenus, le tribunal a rejeté la demande. Une audience publique de six heures s’est ouverte pour juger cette affaire de violences conjugales, sur fond de pressions et manipulations.

Le médecin et la jeune femme se sont connus sur un site de rencontres en novembre 2019. Le 22 décembre 2019 elle emménage chez lui. Le jour de Noël les violences débutent et dureront le temps de leur liaison jusqu’en août 2020. Elle porte plainte. Il est accusé de violences habituelles, de diffusion d’images à caractère sexuel, d’atteinte à son intimité et d’agression sexuelle. Le 18 novembre 2021, l’affaire était portée devant la justice, mais renvoyée à plusieurs reprises dans l’attente de rapports d’expertises qui tardaient à être établis.

UN MODE OPÉRATOIRE QUI SE RÉPÈTE

Humiliations, séquestrations, violences physiques, emprise psychologique, chantage affectif, violences sexuelles, les faits se répètent et se formalisent par l’obligation de se mettre à genou devant l’homme pour demander pardon après chaque dispute, par des rapports non consentis, par des coups, des insultes, la destruction de biens, etc. Après leur séparation, il va filmer par l’interstice des nacos de la cuisine, les étreintes de la jeune femme avec son nouveau conjoint. Ce dernier se porte lui aussi partie civile. Les faits sont confirmés par la victime à la barre et étayés pour partie par 15h d’enregistrements audio fournis lors de son audition.

La défense appelle alors une femme, elle aussi ex-compagne du médecin, qui rapporte exactement les mêmes faits. Séquestrée elle avait appelé sa mère pour lui dire « si quelque chose m’arrive tu sauras que c’est lui qui m'a tuée ». Pourtant les deux femmes ne se connaissent pas et elle a accepté de témoigner, pour que cela cesse, après avoir entendu le témoignage de trois femmes battues lors d’une émission à la radio. Le prévenu, comme par effet miroir, renvoie la faute sur la victime, la décrivant comme procédurière, violente, agressive, déséquilibrée et avec un appétit sexuel hors du commun et indique qu’elle le battait.

LA MISE EN CAUSE D’UNE CORPORATION

Un certificat constatant les lésions sur la victime et prescrivant une ITT de 5 jours avait été signé par un confrère du médecin. Il s’est depuis rétracté, considérant les lésions légères et « n’étant pas compétent pour attester de l’ITT » selon sa propre formule alors qu’il s’était estimé apte à la faire il y a trois ans. Un autre médecin sollicité pour une attestation se renseigne auprès de ses confrères qui lui font comprendre qu’il ne doit pas se mêler de ça. Une proximité corporatrice qui interroge la vice-procureur.

Beaucoup de témoins, ayant vu les images détenues par le médecin refusent eux de témoigner, par peur, indique l’ex compagne - témoin.

LA JUSTICE ET LA BALANCE

L’image est parlante dans ce dossier empreint de subjectivité, mais dans lequel se dessinent malgré tout des éléments objectifs, indique le Ministère Public en préambule de son réquisitoire. Les éléments de preuves à charges, les enregistrements audio, où l’on entend des scènes de violence, témoignent de l’absence de consentement. Concernant l’agression sexuelle, c’est un viol, la victime verbalisant son désaccord. Par manque de constations médico-légales, il a été requalifié en agression sexuelle. Pour Madame la vice-procureur ces infractions sont bien caractérisées et les faits sont validés par le prévenu lui-même. A aucun moment il n’indique que ce n’est pas lui. Beaucoup de témoignages indiquent des lésions sur la victime en plus des violences psychologiques.

Les deux expertises de la victime et celle du prévenu, réalisées par des experts extérieurs, corroborent les traits de personnalités donnés par les témoins : fragile pour elle, manque d’analyse de la situation, narcissisme et égocentrisme pour lui.

Le prévenu n’a pas d’antécédents judiciaires mais il a deux personnalités, affable à l’extérieur et tyran domestique dans l’intimité. Il est incapable de répondre par oui ou par non et chaque question donne lieu à une phrase de trois minutes, ce qui pour le ministère public n’est pas anecdotique.

Quand il ne peut contester, il dit avoir été drogué, mais ne fait rien pour le prouver ; en tant que médecin, facile pourtant, de se tester. Le mode opératoire se répète sur des victimes différentes avec une totale absence de remise en cause du prévenu.

Il va falloir le surveiller de près à l’avenir estime Madame la vice-procureur qui requiert à son encontre 18 mois de prison avec un sursis probatoire de deux ans, l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, une obligation de soins en visio avec un expert extérieur et une inscription au Fijais (fichier national recensant les auteurs d’infractions sexuelles et violentes).

LE PROCÈS DE LA VICTIME

La défense a opté pour une stratégie de défense à charge contre la jeune femme. Pour l’avocate du prévenu les enregistrements ne sont pas recevables car montés et scénarisés par la victime. Cependant, c’est sur ces enregistrements, lus minute par minute, qu’elle va s’appuyer pour démontrer que la victime est une femme vénale qui a provoqué la situation. Arguant que tout avait été prémédité, elle réfute également les dires du témoin, celle-ci n’ayant pas porté plainte. Mais une plainte a bel et bien été déposée la veille, ce qui vaudra certainement au médecin une nouvelle convocation devant la justice.

Le verdict du tribunal sera rendu le 25 mai. Le médecin est également poursuivi pour altération frauduleuse de la vérité dans un écrit commis le 15 mars 2022. Cette affaire qui devait être jugée le même jour a été renvoyée au 19 octobre à la demande de l’avocat du prévenu.

Ann Bouard