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Nini : un statut peu enviable

Par Ann Bouard
20 January 2023

Dans le dictionnaire de la langue française, les ninis sont des jeunes qui ont choisi de ne pas étudier et de ne pas travailler. A Saint-Martin, la définition est toute autre. Les ninis désignent les personnes qui n’ont pas d’identité donc aucune existence légale. L’histoire même de l’île font qu’ils sont nombreux. L’association SXM Nini leur vient en aide. Elle inaugurait lundi dernier ses nouveaux locaux à Quartier d’Orléans. L’occasion de faire le point sur cette problématique...   

Pour le président de l’association, Calvin Bryan, il faut se replonger dans l’histoire de Saint-Martin pour comprendre comment ces personnes se retrouvent prisonnières d’une île, sans existence officielle. « A l’époque les gens de Saint- Martin s’expatriaient partout dans la Caraïbe, notamment lors de la saison de la canne à sucre. Ils ramenaient alors une certaine richesse. Puis ce fut le temps de la défiscalisation, et les choses se sont inversées. Les gens venaient chercher la richesse à Saint- Martin, devenue un eldorado. Certains se sont installés, parfois illégalement. De 12 000 habitants, la population est passé à 40 000 habitants. Ces personnes avaient une présence physique mais pas administrative. Les parents étaient plus préoccupés à subvenir à leurs besoins que de s’occuper de leurs enfants. Ces derniers sont devenus des ninis, des personnes invisibles aux yeux de la société.

DES CITOYENS FANTÔMES

On ne peut prouver l'existence d'une personne sans que celle-ci ait une identité, car c'est l'identité qui permet de reconnaître les personnes. Il y aurait plus d’un milliard de personnes sans identité dans le monde soit une personne sur sept ! Ne pouvant prouver leur identité par un document officiel, elles sont privées d’accès aux soins de santé, aux services sociaux, au logement. Pour eux pas de compte bancaire, pas d’autorisation de sortie du territoire, pas d’inscription dans un club sportif, etc. Légalement elles n’existent pas. Les ninis sont des personnes nées à Saint-Martin, de parents étrangers. Elles n'ont souvent qu’un acte de naissance mais celuici ne suffit pas à établir une identité et par méconnaissance des lois elles sont englués dans un imbroglio administratif. Les enfants scolarisés, de 12 à 18 ans peuvent en effet demander une pièce d’identité, mais après 16 ans, l’âge limite à l’instruction obligatoire pour tous les enfants, français ou étrangers, le processus de régularisation est plus complexe et ils doivent en faire la demande auprès des autorités judiciaires. Bien souvent les parents ignorent cela et passé l'âge, il est trop tard et c’est un nini de plus. Une situation dont peu se vantent, une certaine honte étant associée à leur statut. L’association a d’ores et déjà recensé une centaine de ninis.

IL Y A UNE MISÈRE CACHÉE À SAINT-MARTIN

Sans identité, pas de travail légal et des revenus aléatoires, ou pas de revenus. La misère est la porte ouverte à la grande débrouille, donc bien souvent à la délinquance. Bernadette Davis, 2e vice-présidente de la Collectivité, résume bien la chose : « je ne vois pas d’autres endroits comme Saint- Martin dans la Caraïbe, il faut la protéger pour le futur. Mais on ne peut avoir une île sécurisée si on a des gens dans la précarité. Une façon de gérer l’insécurité est d’insérer les gens en leur permettant de travailler, d’obtenir une nationalité, pas forcément française, ce peut être celle de l’un de leur parent ». Car la précarité est omniprésente chez les ninis. Dans les cas gérés par l’association une femme seule avec un enfant handicapé, gagne 280 € par mois, 59 € pour un retraité à 67 ans … Ce sont des gens qui sont nés à Saint-Martin, ont travaillé toute leur vie pour construire et développer l’île, mais ils n’ont pas droit à la retraite. Avec une identité ils pourraient y prétendre.

DES PERSONNES SANS AILLEURS

On ne peut pas les envoyer ailleurs … il n’ont pas d’ailleurs. Sans papier, ils ne peuvent quitter Saint-Martin pour aller tenter leur chance ailleurs. Nés sur l’île, ils ne peuvent pas non plus avoir de prétention dans leur pays d’origine. Le Président Louis Mussington a accepté de signer une convention avec SXM Nini afin qu’elle puisse faire les démarches et demander les documents pour ces personnes souvent dans l’incapacité de résoudre elles-mêmes leur non existence administrative faute de connaissance des lois et … faute de papier. On tourne en rond.

SXM NINI

C’est la Préfète Sylvie Feucher qui a encouragé la création de l’association, suite à un rendez-vous en août 2019 où Sofia Carti lui a exposé le cas de cinq ninis, dans des situations différentes mais toutes complexes. L’association s’est structurée en février 2020 pour avoir un cadre légal d’intervention. Depuis, elle accompagne chaque nini afin qu’il puisse s’inscrire dans ce cadre légal. L’association mène pour cela également des démarches auprès de plusieurs pays. Le consul général de la République d’Haïti en Guadeloupe, Carl Edouard Saint Rémy, avait d’ailleurs fait le déplacement pour cette inauguration et a confirmé la volonté de collaborer encore plus étroitement avec l’association. Mais c’est encore compliqué pour Anguilla, la Dominique, la Jamaïque ou la République Dominicaine. L’objectif de l’association est que les personnes originaires d’un pays de la Caraïbe puissent obtenir leur nationalité et ainsi demander par la suite une carte de séjour pour rester à Saint-Martin … ou avoir le choix de retourner dans leur pays d’origine. Chaque personne qui reçoit l’aide de l’association, s’engage ellemême à s’impliquer dans le tissu associatif. SXM Nini met un bureau et une salle de réunion à disposition des autres associations dans ses locaux (avec signature d’une convention) pour recevoir les personnes correctement. On peut imaginer qu’une personne qui se présente devant une administration ait le droit à un enregistrement qui ouvre une procédure visant à régulariser sa situation dans un délai raisonnable. Il est nécessaire d’améliorer les politiques d’enregistrement et d’accès à l’état civil, en tenant compte des obstacles dus à la précarités des concernés. Cela permettrait à ce nombre toujours croissant de personnes et d’enfants de retrouver la possibilité d’inscrire leur vie et leurs efforts dans la vie de leur pays. L’association tient une permanence tous les jours de 9h à 13h (rez de chaussée appartement 501 - bâtiment 5 - résidence Les Hirondelles - Quartier d’Orléans).

Ann Bouard