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Vers une crise diplomatique ?

19 May 2020
Durant le week-end, et selon un tempo crescendo, la situation à la frontière a pris une tournure inattendue. Les autorités néerlandaises ont décidé de lever le camp, alors que les autorités françaises continuent les contrôles. Une situation ubuesque qui montre les limites de la coopération entre les deux parties sur notre petit territoire de 95km2, imputables surtout à des modes de gouvernance différents.

Pour mémoire, depuis le 4 avril dernier, et suite à la décision par les autorités hollandaises d’une mise en confinement total du sud de l’île pour sa gestion de crise sanitaire, la frontière a fait l’objet de contrôles stricts pour passer de part et d’autre. Les autorités françaises qui avaient placé le nord de l’île en confinement dès le 17 mars, suite aux décisions annoncée par le président Macron, tombaient d’accord avec les autorités hollandaises pour mettre en place des contrôles conjoints aux points de passage de la frontière. Dès lors, la phase de déconfinement progressif est enclenchée pour la partie française depuis le 11 mai dernier, et Sint Maarten a levé ce dimanche 17 mai son décret sur l’état d’urgence.
 
Deux gestions de crise différentes sur le territoire
 
Depuis lors, la crise sanitaire a été gérée de part et d’autres ; Chaque partie recensant de son côté le nombre des cas avérés, le décompte des guéris et même le nombre de décès. A croire que sur ce petit territoire il n’était pas possible d’envisager une gestion commune de cette crise sanitaire, optimisant certainement l’efficacité de cette dernière. Les prémices même d’une compétition dans le nombre de cas semblait poindre entre les deux côtés de l’île, l’une pouvant reprocher à l'autre de lui apporter des cas et inversement. Dès lors, il semblait évident que la période de déconfinement allait s’avérer peu harmonieuse. Et c’est bien ce qui est en train de se jouer depuis ce week-end.
 
Pas d’entente harmonieuse à l’heure du déconfinement
 
Jeudi 14 mai, une réunion tripartite a eu lieu entre la préfète Sylvie Feucher, le président Daniel Gibbs et la première ministre Silveria Jacobs, au cours de laquelle, la Première ministre Jacobs a exprimé sa volonté de mettre un terme aux contrôles frontaliers avec Saint-Martin, à compter du lundi 18 mai, l’état d’urgence étant levé le 17 mai. La préfète Feucher a quant à elle exprimé son souhait de poursuivre les contrôles. Tout en rappelant que la Collectivité n’a pas de pouvoir de décision en la matière, le président Gibbs y apportait toutefois son avis, selon lequel il était favorable à l’arrêt des contrôles dans le courant de cette semaine, en fonction des résultats des tests de dépistage effectués toute la semaine dernière.
Sans évoquer préalablement la tenue de cette réunion tripartite au cours de laquelle les visions contradictoires étaient discutées, en conférence de presse convoquée le lendemain, vendredi 15 mai, la préfète Sylvie Feucher indiquait que la levée des contrôles à la frontière n’était pas encore d’actualité, et soulignant qu’en coopération avec la partie hollandaise, la décision prise était celle d’attendre de connaître comment allaient évoluer les bilans sanitaires sur chacun des territoires, avant de prendre à la fin de ce mois une décision de réouverture de la frontière, probablement pour le 2 juin prochain.
 
Conflits d’intérêts ?
 
Mais de son coté, ce même vendredi 15 mai, et à la suite d’une motion votée la veille par son parlement tenant compte de l’évolution favorable de l’épidémie et entrant en phase de déconfinement, le gouvernement hollandais décidait d’arrêter les contrôles aux frontières. Dans un communiqué adressé dans la soirée de samedi, la première ministre Silveria Jacobs précisait que cette décision était prise de façon unilatérale, un consensus entre les deux partie n’ayant pas été trouvé : « Parfois, malheureusement, nos différents systèmes n’arrivent pas à se synchroniser (…) nous continuerons à nous rencontrer et à travailler ensemble à l’avenir (…) et ferons de notre mieux pour favoriser la coopération (…) ». C’est donc dès le lendemain matin, dimanche 16 mai, que les forces de l’ordre hollandaises sont venues désinstaller le dispositif mis en place aux points de frontière. Les check-point de Bellevue et de Belle Plaine ont été démontés, et les containers placés à la frontière d’Oyster Pond par les autorités hollandaises ont été retirés. Les forces de l’ordre françaises sont quant à elles restées en place ainsi que les containers positionnés à Cupecoy par les autorités françaises, dans l’attente des des nouveaux ordres des autorités françaises d'Etat.
Une réunion a eu cours en préfecture ce dimanche 16 mai, et en fin d’après-midi, les rédactions recevaient un communiqué indiquant le maintien des contrôles sur les déplacements transfrontaliers à Saint Martin : « En raison de la recrudescence des cas (2 nouveaux confirmés et 2 cas probables), la Préfecture de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy renforce son appel à la plus grande vigilance pour éviter la reprise de l’épidémie. (...) Le Gouvernement de Sint Maarten a décidé aujourd’hui (dimanche 16 mai, ndlr) de supprimer les contrôles réalisés sur son territoire, ce qui implique pour les autorités françaises, la plus grande vigilance compte tenu de la circulation encore active du virus dans l’île et dans le contexte du déconfinement sur la partie française (réouverture des écoles primaires, reprise de l’activité économique, accès aux plages, ouverture des restaurants). La santé de la population est le seul argument qui doit guider nos décisions. C’est pour cette raison que les mouvements de population entre les deux parties de l’île ont été limités. La Préfecture de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans un contexte sanitaire encore fragile a donc décidé de maintenir un contrôle strict entre les deux parties de l’ile pour les prochains jours (…) ».
 
Situation de non-sens
 
Résultat, depuis dimanche, c’est une situation insensée qui se produit à la frontière, avec les gendarmes et les agents de la PAF qui contrôlent l’entrée sur le territoire français mais pas la sortie… Et les automobilistes qui se rendent librement à Sint Maarten doivent montrer patte blanche pour rentrer à nouveau à Saint-Martin (attestation de la préfecture ou formulaire C du gouvernement de Sint-Maarten). Sauf que la plupart des automobilistes ne sont pas en mesure de présenter ces autorisations et que les gendarmes ne peuvent pas les empêcher de rentrer chez eux… Totalement ubuesque !
 
Une île, un peuple, oui, mais deux gouvernances …

Le sacro-saint « One Island, one people », semble bien mis à mal en marge de cette crise sanitaire inédite, frôlant même la crise diplomatique. Le traité de Concordia institué comme loi suprême sur le territoire depuis 372 ans est remisé au dernier rang dans la hiérarchie des bases réglementaires et d’autorité au mépris de la liberté de la libre circulation des biens et des personnes instaurée depuis cette date. On se demanderait même aujourd’hui s’il ne serait pas devenu quelque peu illégal en tant que français d’habiter en partie hollandaise, et vice-versa. Quant à la suspicion venant planer sur les choix de résidence des uns et des autres devient pesante, dans un territoire où jusqu’à preuve du contraire, la liberté d’agir à ce niveau-là a toujours prévalu. Pour l’heure, et sous couvert de la sécurité sanitaire de la population, on a bien d’un côté Sint Maarten et de l’autre Saint-Martin, avec deux modes de gouvernance bien distincts. Saint-Martin- Sint Maarten en sortira-t-elle indemne ?