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Un médecin à la barre du tribunal

Par Ann Bouard
25 juin 2024

Les affaires médicales sont rares, longues et souvent complexes à juger pour les magistrats. C’était le cas jeudi dernier, avec celle de ce médecin accusé d’avoir pratiqué en 2012 une hystérectomie peut-être non nécessaire. La patiente a porté plainte et il a été mis en examen dix plus tard. Quid de la nécessité ou de l’urgence de l’intervention ? C’est sur quoi le tribunal devait se prononcer.

Prise en charge à l’hôpital de Saint-Barthélemy, pour des douleurs pelviennes et des difficultés respiratoires sévères, la jeune femme est transférée sur l’hôpital de Saint-Martin. Le scanner réalisé à son arrivée révèle un épanchement pelvien et une masse tumorale de plus de 4 cm. Cela évoque un cancer de l’ovaire.

DISSENSIONS ENTRE SAINT-MARTIN ET POINTE-À-PITRE

L’hôpital de Saint-Martin n’est pas équipé pour opérer ce type de pathologie qui doit être traitée à Pointe-à-Pitre. La patiente accepte d’être transférée à la condition, non négociable, d’être accompagnée de ses deux enfants. Une situation compliquée pour les urgentistes qui, ne pouvant prendre en charge des enfants lors d’une évacuation sanitaire, annulent le transfert. Le médecin incriminé, bien que spécialiste en cancérologie, refuse dans un premier temps de gérer cette patiente. Le lundi, pour avancer dans les décisions à prendre, il fait cependant pratiquer une cytologie et adresse le prélèvement à Pointe-à-Pitre qui tardera à communiquer les résultats, malgré les relances incessantes des équipes du centre hospitalier de Marigot. Finalement, il obtient les résultats oralement, sans validation écrite. Résultats qui confirment le premier diagnostic, à savoir, un possible cancer de l’ovaire. À la barre, le médecin dénonce les relations avec l’hôpital de Pointe-à-Pitre, qui visiblement n’avait de cesse que de leur mettre des bâtons dans les roues.

LE CONTEXTE PARTICULIER DU CARNAVAL

Toute décision étant prise de manière collégiale, trois médecins évoquent le cas de cette femme de 34 ans, ayant déjà deux enfants et ayant subi deux IVG. Elle ne maîtrise pas parfaitement le français, mais ils lui expliquent la situation et elle signe l’accord d’intervention. Elle est en urgence relative, mais les créneaux de disponibilité du bloc sont restreints. En effet, c’est la période de carnaval et l’hôpital réduit toutes ses activités afin de garder les deux blocs opératoires en cas d’urgences vitales dues aux festivités. La femme présente un fort risque de thrombose, et sans intervention chirurgicale, nécessite un traitement anticoagulant qui retarderait d’autant l’opération.

DES RÉSULTATS CONTRADICTOIRES

L’hystérectomie est pratiquée sans aucune complication postopératoire. Mais, huit jours plus tard, les résultats complémentaires en provenance de métropole sont discordants avec ceux de Pointeà- Pitre. La femme souffrait en réalité d’un syndrome assez rare, dont les symptômes sont les mêmes que le cancer de l’ovaire. Le médecin qui a depuis quitté Saint-Martin, n’a aucune nouvelle de cette opération jusqu’en 2022, année de sa mise en examen. Les deux autres médecins de l’hôpital dont un suivait la patiente régulièrement, et qui a assisté le médecin mis en cause pendant l’opération, se désolidarisent et reportent toute la faute sur celui qui a pratiqué le geste d’ablation.

VERDICT ATTENDU EN SEPTEMBRE

Le Ministère public fait remarquer que cette opération a eu des conséquences à vie, mais reconnaît les contraintes organisationnelles et la pression dans cette situation particulière du carnaval. Elle demande cependant d’entrer en voie de condamnation avec une peine de six mois d’emprisonnement, assortie d’un sursis simple, car conclut-elle « ce médecin exerce un métier noble, lourd de responsabilités ». Le verdict du tribunal sera rendu le 19 septembre prochain.    

Ann Bouard

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