Sargasses : comment gérer le fléau

Depuis une dizaine d’années, les sargasses font, malheureusement, partie du paysage. Le réchauffement climatique entraîne leur prolifération et rien ne peut stopper le phénomène. Reste à trouver des solutions pour épargner les côtes. Tour d’horizon de la problématique.
En début de semaine le premier radeau d’algues brunes détecté, de taille moyenne, se situait à environ 50 km à l'est-sud-est de Saint-Barthélemy, mais devrait l’éviter et continuer son chemin vers l'ouest. Encore rien de significatif à Saint-Martin, mais la zone à 150km de l’île est déjà très dense et les premiers échouements semblent inévitables dans les quinze prochains jours. Ils devraient aller crescendo en termes de fréquence et de quantité dans les semaines et les mois à venir.
Une problématique mondiale
L’apport important de nutriments (potassium et nitrate) provenant des rivières Congo et de l’Amazone, associé à l’élévation de température, la baisse de la pression de l’air et l’accentuation des courants marins exacerbés par le réchauffement de la planète, favoriserait la croissance et le développement des sargasses. Au-delà de 72h, après leur arrivée sur les côtes, leur décomposition provoque un dégagement de gaz, notamment de l’hydrogène sulfuré (H2S) par fermentation, qui à faibles doses, répand une odeur particulièrement nauséabonde et, à doses plus importantes, peut devenir toxique. Leur capacité à piéger les métaux lourds, comme l’arsenic, constitue également un danger pour un éventuel traitement ou valorisation.
Selon le rapport du GIEC, depuis 2015, leur croissance est telle que leur saisonnalité s’atténue progressivement et désormais les échouements, outre une menace pour la santé humaine et les écosystèmes marins (récifs coralliens, herbiers… habitats essentiels pour de nombreuses espèces ), constituent aussi une menace pour l’économie touristique. Les sargasses sont devenues une problématique pour toutes les régions côtières de la Caraïbe, d’Amérique centrale, du Golfe du Mexique et dans l’Atlantique.
Une initiative internationale de lutte contre ce phénomène a été officiellement lancée le 2 décembre 2023 par la France, à Dubaï, en marge de la COP 28. L’ambition est d’aboutir à un plan d’action international lors de la 3e Conférence des Nations Unies sur les Océans qui aura lieu à Nice en juin … cependant, malgré les alertes, la problématique ne figure pas au programme. La convention de Carthagène, pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes, signée en 1983, devrait pouvoir être remise à jour. Reste le projet européen Interreg Sarg’Coop…
Une mobilisation régionale
Une délégation de la Collectivité, menée par la 2e vice-présidente, Bernadette Davis, était présente au SARG’COOP II, qui se tenait en Guadeloupe le 26 mars dernier. Cette journée marquait le lancement officiel du programme Interreg SARG’COOP II, dédié à la lutte contre les échouages massifs de sargasses. Bernadette Davis a rappelé « qu’il ne s’agissait pas d’une crise locale, mais d’une crise transnationale, avec un coût humain, sanitaire et économique qui devient insoutenable ».
Le projet Interreg SARG’COOP II, avec des financements européens (5,5 M€), a pour mission de renforcer la coopération en matière d’environnement et de protection des milieux naturels entre les États et territoires de la Caraïbe, mais aussi d'internationaliser la question des Sargasses. L’objectif est de traiter l’ensemble des questions liées à la problématique : prévision, prévention des échouages, collecte, traitement, valorisation, prévention des impacts, formation, sensibilisation, etc. À Saint-Martin, le budget consacré au ramassage des sargasses a triplé entre 2022 et 2024, pourtant les moyens de collectes restent limités.
Une gestion qui s’améliore
La Chambre Territoriale des Comptes (CTC) a consacré un chapitre entier à la gestion des sargasses à Saint-Martin. Ce phénomène, bien que récurrent et prévisible, n’est ni reconnu comme catastrophe naturelle ni considéré comme un déchet selon le code de l’environnement. La Collectivité est responsable de leur enlèvement avec cependant une mobilisation de l’État, par le biais d’un comité de pilotage territorial dans le cadre du « Plan Sargasses 2 ».
Si les sites d’échouement concernent le Conservatoire du littoral, l’association de gestion de la réserve naturelle de Saint-Martin, seuls deux opérateurs assurent leur ramassage : la Collectivité et les privés détenteurs d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine maritime.
La Collectivité s’est saisie de la politique de lutte contre les sargasses, mais la CTC note des dysfonctionnements récurrents, notamment un défaut d’anticipation sur les délais de passation des marchés, des imperfections dans la définition du besoin, des difficultés à vérifier la réalité. Cependant, elle note aussi que la logistique est mieux dimensionnée. En 2023, ce sont 2,5 M€ qui ont été consacrés aux sargasses.
Des solutions locales
Depuis juillet 2024, la Collectivité ne procède plus sur réquisitions (système jugé irrégulier par la CTC), mais a conclu un marché avec deux entreprises saint-martinoises ayant chacune deux sites en gestion sur quatre ans. Cependant, ces entreprises ne peuvent intervenir sur les zones peu accessibles avec des engins. Des études poussées ont donc été menées pour envisager la pose de barrages filtrants. Concrètement, ils permettront de dévier 96% des sargasses vers un point où elles peuvent être collectées à terre mécaniquement. Ces barrages, démontables en 24h si besoin, ne sont pas adaptés à tous les sites. Deux sites (environ 900m de filets) devraient faire l’objet de ce système, la baie de Cul de Sac (pour les dévier vers le parking) et celle de l’Embouchure (pour les empêcher d’entrer dans l’étang aux poissons).
La solution d’un ramassage en mer et de valorisation des algues, proposée en 2022 par une société privée, a été abandonnée par la Collectivité car jugée inadaptée et trop coûteuse (4,8 M€). La société a estimé que les règles de mise en concurrence n’avaient pas été respectées par la Collectivité, sous couvert de l’État, et s’appuyant sur les dysfonctionnements relevés par la CTC a fait remonter ces irrégularités jusqu’au ministère de l’Intérieur.
Concernant leur traitement, le marché avec à l’éco-site sera renouvelé en août avec, nouveauté, une prise en compte spécifique « sargasse » (différenciées des déchets à enfouir), qui devrait avoir un impact sur le coût. Pour la CTC, les possibilités de valorisation demeurent soit insuffisantes, soit expérimentales. La solution du compost destiné à un usage final agricole est considérée par la Collectivité sans avenir, compte tenu des polluants. Le projet Py de Verde SXM, toujours en phase de réflexion (usine de pyrogazéification) pourrait constituer la solution, car il absorberait l’ensemble des tonnages de sargasses pour produire de l’électricité.
