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Affaire des élus : dernier round

Par Ann Bouard
6 Mai 2022
Déjà relaxé dans deux affaires, celle des toitures et celle des services de fournisseurs de la Collectivité en janvier dernier aux côtés de Valérie Damaseau, Daniel Gibbs comparaissait à nouveau hier devant le tribunal de Saint-Martin, cette fois aux côtés de sa troisième vice-présidente de l’époque, Annick Pétrus. Testée positive au Covid en janvier, son dossier avait dû être renvoyé.
Post Irma, les dons affluaient chaque semaine par containers, dans un premier temps côté hollandais puis au port de Galisbay dès que celui-ci a pu être remis en service et sécurisé par l’armée. Les denrées alimentaires et l’eau étaient alors stockées dans les entrepôts de Frigodom. Les militaires assuraient la gestion de ces arrivages et la distribution. Le stockage des dons était facturé à l’état pour des sommes astronomiques par Frigodom (200 000 € pour deux semaines !). Au départ des militaires, la Collectivité hérite de cette mission, un peu contre son gré. Fin 2017, il s’agissait alors de trouver rapidement un ou des prestataires pour distribuer ces denrées vitales pour la population. Le gérant de la société Angel Car Rental, œuvrant alors comme bénévole auprès d’Annick Pétrus, se propose d’assurer cette mission.
Les deux élus devaient hier justifier du choix de ce prestataire. En effet, la société ne présentait pas le profil idéal ; elle ne disposait que d’un seul camion, n’avait pas de personnel, n’était pas totalement en règle dans ses déclarations et son gérant était sympathisant de la Team Gibbs lors des élections de 2017.
 
Pas de contrat, pas de d’argent
 
La société a effectué sa mission du 1er janvier 2018 à fin février 2019 et émis six factures dans un premier temps, réglées par la collectivité, puis cinq autres … refusées par le trésorier public. L’entreprise a facturé 63 840 € mais aucun marché n’avait été passé (marché total de 147 403,20 €). Or, toute prestation dépassant 25 000 € doit faire l’objet d’un marché public, à savoir une publicité légale pour informer du marché et permettre une mise en concurrence. C’est le service des achats de la Collectivité qui était chargé d’élaborer le marché et d’établir le contrat avec le prestataire en relation avec le service juridique : ce qui n’a pas été fait.
La mission ayant été cependant assurée, un protocole transactionnel a été signé pour pouvoir payer l’entreprise. Protocole dénoncé par la préfète de l’époque auprès du parquet qui a diligenté une enquête. Enquête qui a abouti aux poursuites envers les deux élus.
 
Vrai dossier ou règlement de compte ?
 
Comme l’a souligné le procureur en débutant ses réquisitions, il est un peu difficile de revenir sur un dossier coupé en deux, dont la première partie avait aboutie à la relaxe des prévenus.
« Aujourd’hui on peut s’interroger sur quelle était la situation fin 2017 - début 2018 », et pourquoi l’état a fait rétroagir postérieurement la période d’état d’urgence à octobre 2017 alors que la Collectivité pensait que cela allait perdurer jusqu’à la fin de l’année. Il s’interroge également sur la bascule de l’état vers la collectivité et avoue s’être posé la question sur cette précipitation à partir et pourquoi la poursuite des actions engagées n’a pas été encadrée et sécurisée. « On laisse une activité essentielle qui est le chemin que doivent faire ses dons, des dons alimentaires périssables. Il fallait trouver une solution ». Annick Pétrus a effectivement indiqué qu’il n’y avait plus personne pour assurer les distributions qui avaient dû être interrompues, entrainant la perte des denrées périssables.
Le ministère public reconnait qu’il y a des manques dans le dossier, des personnes qui n’ont pas été entendues et qui auraient pu apporter un éclairage et que la personne au service des achats n’était pas la plus adaptée à ce poste. Le procureur rappelle que l’on était alors dans un état d’urgence impérieuse et qu’il y avait un risque de perdre des denrées utiles à la vie des personnes. A la question de savoir si d’autres personnes auraient pu assurer cette mission, personne n’a apporté de réponse.
Au final, le prestataire à bien réalisé la mission qui lui avait été confié et le montant de sa prestation semble correspondre au matériel utilisé et aux quatre salariés embauchés précise-t-il.
Il estime par ailleurs « avoir le sentiment que sur ce dossier, on a pu être manipulé. Si on doit chercher des reproches à des élus il faut aller les chercher sur d’autres dossiers. Ils ont fait face à un truc exceptionnel, Irma. Le dossier a été monté avec beaucoup d’imperfections. » Il a aussi du mal à se convaincre de l’infraction ,car il n’y a au final aucun gain ni profit personnel : « on a été berné par des choses qui ont été rapportées. Il y avait une querelle de personnes et ses poursuites sont étonnantes.
On ne joue pas aujourd’hui le dernier tour ; Il reste des choses qu’il va falloir étudier »
« Ce dossier n’aurait pas dû arriver à la barre du tribunal, il s’agit aujourd’hui de rétablir une certaine vérité » a -t-il conclu avant de requérir la relaxe des deux élus sur les faits de favoritisme ainsi que la relaxe sur les faits de détournement pour Daniel Gibbs. Il a également demandé à ce que l’argent saisi (les 5 factures non réglées au prestataire) soit restitué car le service a été réellement effectué.
Un réquisitoire qui a facilité la tâche de la défense qui n’a pu qu’aller dans le sens du procureur. L’avocate de Madame Pétrus a simplement complété en rappelant qu’en cas d’absence de concurrence ou même de concurrence faible, nul besoin de marché et que pour ce qui est de la publicité pour passer ledit marché, il aurait fallu qu’il y ait fin 2017 des journaux pour passer la fameuse annonce légale. Elle a déploré que les autres entrepôts qui nécessitaient aussi de la manutention n’ont pas été mentionnés, que les associations n’aient pas été entendues… en bref « une enquête à trous, un état défaillant et une procédure à charge ».
Des arguments qui ont convaincu la cour. Daniel Gibbs et Annick Pétrus ont été relaxés.
Ann Bouard