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Nuit du Droit : l’épineux sujet de la soumission chimique

Par Ann Bouard
8 Octobre 2024

Une soixantaine de personnes, dont dix lycéens, se sont pressées vendredi dernier dans la salle du tribunal pour assister à la conférence-débat sur les crimes sexuels et la soumission chimique organisée par le Conseil d’Accès au Droit. 

En introduction de cette 1re table ronde visant à avoir une idée plus globale de la thématique, Leïla Chaouachi, pharmacienne au Centre d’Addictovigilance de Paris et experte nationale de l’enquête soumission chimique auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament, est naturellement partie de la définition de la soumission chimique : «C’est le fait de droguer une personne à son insu ou sous la menace en vue de commettre un crime ou un délit, ce n’est pas un terme nouveau, on retrouve des traces de soumission chimique dans la mythologie ou les contes médiévaux avec le célèbre «filtre d’amour» qu’on appellerait en 2024 la drogue du viol».

Suite à un 1er état des lieux effectué en 1997 par l’ANSM, le Centre d’Addictovigilance de Paris a mis en place une enquête afin d’identifier les substances incriminées, de définir les types d’agression, leurs contextes, et les modes opératoires des auteurs présumés. Après l’émergence de #MeToo en 2017, d’autres mouvements de la libération de la parole sont nés à l’automne 2021 dont «Balance Ton Bar» avec une mise en lumière du GHB, nommée «drogue du violeur». Avec une explosion des déclarations de cas en 2022, que ce soit sur la scène festive, dans la sphère privée ou les hautes sommités de l’État, la soumission chimique est alors devenue un symbole. 

Soumission chimique VS vulnérabilité chimique

La vulnérabilité chimique, qui désigne l'état de fragilité d'une personne qui consomme volontairement des substances psychoactives, est, au même titre que la soumission chimique, une circonstance aggravante pour l’auteur présumé. L’enquête révèle qu’il n’existe pas de profil prédéfini de victime : de 9 mois à 90 ans, toutes classes sociales confondues. Si les victimes sont en général des femmes, les enfants, les hommes et les personnes transgenres sont également concernés. Au vu de la pluralité des situations où aucune victime ne doit se sentir responsable de son agression, il est important pour Leïla Chaouachi de décomplexer les idées reçues sur les victimes mais aussi les agresseurs : « On pense souvent au loup solitaire mais majoritairement ce sont des personnes qu’on connait, la soumission chimique est une confiance qui est trahie dans un contexte où on se sent en sécurité ». 

Drogues et médicaments

Si le GHB figure dans l’imaginaire collectif, les médicaments type somnifère, calmant, ou antihistaminique (pour l’effet secondaire de somnolence) représentaient 73% des cas de soumission chimique en 2020. En 2021/2022, les drogues ont gagné du terrain (44%) avec un effet stimulant pour la victime qui n’en est pas moins dans un état vulnérable. 

Judiciarisation des cas

Marie-Lucie Godard et Fayrouze Ibnouhachim, respectivement vice-procureure et vice-présidente au tribunal de proximité Saint-Martin, sont intervenues lors la 2e table ronde traitant du processus judiciaire. Toutes les affaires qui arrivent après des dépôts de plainte ne sont pas forcément poursuivies : « Ça ne veut pas dire que l’on ne croit pas la victime. Il est important d’en parler, que l’on soit victime ou confident.e, et de déposer plainte pour avoir des éléments de preuve et se faire accompagner pour se reconstruire » précise Marie-Lucie Godard qui alertait aussi du danger des réseaux sociaux qu’elle considère comme un tribunal médiatique : « Tout le monde y va de sa propre vérité, c’est à cause de cela que les victimes ne portent pas plainte, par peur ou culpabilité, il faut que ça change ». En cas de dépôt de plainte, c’est une véritable course contre la montre qui débute pour contrer la disparition rapide des indices et réduire les risques de grossesse ou de transmission d’IST/HIV. Un médecin aux urgences de Concordia a tenu à soulever le manque de matériel pour les prélèvements et de formation du personnel de santé pour la conservation des indices.

Maîtres Marion Tillard et Davy Barreiro, avocats, ont quant à eux défini le contour de la suggestion de la soumission chimique durant la 3e table ronde : « On part toujours d’une vérité en tant qu’avocat, en tant qu’interlocuteur d’une victime qui a compris qu’elle avait été agressée sexuellement mais qui n’a parfois que des souvenirs diffus, c’est de notre responsabilité d’agir. Même si vous êtes mineur.e, vous pouvez porter plainte ». 

La Maison des Femmes à Marigot, la Maison de Protection des Familles à la gendarmerie, les avocats, le tribunal, l’association France Victimes 978, l’assistance sociale dans les écoles, toutes ces structures accueillent et accompagnent les victimes dans le processus de dépôt de plainte et de reconstruction.

Ann Bouard