Crimes sexuels et soumission chimique : un problème de santé publique
Le conseil d’accès au droit organise, ce vendredi 4 octobre, une conférence-débat sur la thématique « crimes sexuels et soumission chimique ». Un sujet qui passionne Marie-Lucie Godard, la nouvelle vice-procureur du tribunal de proximité de Saint-Martin. Au nom du parquet de Basse-Terre, elle a bien voulu s’exprimer sur le sujet pour bien faire comprendre toute la complexité de ces comportements.
L’affaire Pélicot, dossier exceptionnel, met à jour la soumission chimique, mais celle-ci ne date pas d’hier. Le premier texte de loi est paru il y a presque 20 ans, et a été remis à jour en 2017. Plusieurs affaires ont déjà fait la une des journaux : les concours de Miss aux États-Unis où les candidates étaient empêchées ainsi de concourir, celle du valium dans l’eau des joueurs d’une équipe de football en France, l’affaire Epstein, ou encore les jeunes femmes des pays de l’Est droguées pour les amener à la prostitution… À chaque fois la finalité est la même, droguer une personne à son insu ou sous la menace, pour en obtenir quelque chose. Ce problème est devenu une question de santé publique majeure.
Le poids de la culpabilité
Quand on parle de soumission chimique, on pense spontanément au GHB, la drogue du violeur, mais elle passe le plus souvent par des médicaments comme les sédatifs, ou plus récemment par des drogues qui désinhibent. Les auteurs de ces faits, le font souvent à bon escient, quand la personne visée est déjà sous l’emprise de l’alcool par exemple, et ne souviendra donc pas d’avoir été droguée.
La parole s’est libérée, mais on n’en parlait pas avant parce qu’il y avait une certaine honte : j’ai bu, ou je me suis droguée donc c’est de ma faute. Une sorte d’omerta s’était installée due à la culpabilité même de s’être mis dans cette situation. Aujourd’hui il y a une prise de conscience, et il faut que la honte change de camps, indique la vice-procureur.
Réagir rapidement : un acte essentiel
Malgré cette prise de conscience, il est cependant difficile de quantifier le nombre de cas, car l’accès aux analyses toxicologiques est conditionné par le dépôt de plainte. Toute la difficulté pour la justice est que l’infraction doit être caractérisée, rappelle Marie-Lucie Godard. Il faut que l’on trouve des traces de drogue, mais certaines comme le GHB sont très volatiles. Plus les victimes parlent vite, plus les enquêteurs peuvent récupérer des éléments de preuve (images, témoignages, etc). Mais, les images des caméras de surveillance sont détruites au bout de quinze jours (les établissements privés n’ont pas le droit de conserver les images au-delà). Là encore, le temps joue en la défaveur des victimes. Au national, les chiffres sont éloquents : moins de 10% des victimes déposent plainte, pour violences sexuelles, et l’emprise et l’altération de la mémoire complexifient le recours au dépôt de plainte.
La vice-procureur rappelle qu’il est essentiel de déposer plainte, de parler, même si cela est compliqué. Ces démarches peuvent être plus faciles avec l’appui de l’Association d’Aide aux Victimes. Mais, elle est également convaincue qu’il y a un travail de fond, et de formation, à mener auprès des professionnels de santé.
Opérer un travail pluridisciplinaire
Pour cela, il y a un maillage et un travail pluridisciplinaire à mettre en place. C’est d’ailleurs, indique-t-elle, une volonté du ministère public. Il faut réfléchir à la manière de travailler ensemble, car ce n’est pas la justice seule qui pourra résoudre le problème. Ce travail doit se faire de concert, avec les associations d’aide aux victimes, mais aussi avec les médecins, pour dépasser le clivage du secret médical. Il faut qu’ils puissent alerter la justice en cas de suspicion.
Elle espère ne pas être engloutie par sa charge de travail pour mener à bien cette mission, car par expérience, elle sait que plus on travaille les partenariats et la pluridisciplinarité, plus on s’enrichit, mieux on réfléchit, et plus on se rend compte que l’on peut se décharger sur d’autres professionnels pour ne pas être dans le justiciable systématique.
Cette femme de terrain, viscéralement attachée aux droits fondamentaux, l’assure, elle fera tout ce qu’il faut pour avancer sur ce vaste sujet qui «atteint toutes les couches de la société sans exception, d’âge, de couleur, de catégorie sociale… »