Une femme mène un combat pour un enfant abandonné
Sophie*, une femme de quarante ans, sage-femme de métier, mène un combat depuis plusieurs mois pour prendre sous son aile un enfant de quelques mois, abandonné à la naissance.
Le petit Joe* est né en août dernier, à la Maternité du Centre hospitalier de Marigot. Sa mère biologique, 22 ans, ne parle ni ne comprend le français. Elle ne s’exprime qu’en anglais. A l’issue de son accouchement, elle informe l’hôpital qu’elle décide d’abandonner son enfant. Mais elle le reconnaît toutefois, et déclare sa naissance auprès des services de l’Etat civil, trois jours après son accouchement. Il ne s’agit donc pas d’une naissance sous X. Pour autant, une procédure administrative d’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’Etat a été mise en œuvre. La Collectivité de Saint-Martin a pris un arrêté en ce sens, en date du 17 août 2016.
Est-ce l’intérêt de l’enfant de le laisser dans un hôpital après sa naissance ?
Ni placé dans une famille d’accueil, ni même dans une structure adéquate, le petit Joe reste alors dans les locaux de la Maternité, à l’hôpital, alors que son état de santé ne le nécessite pas. Et malgré la présence bienveillante du personnel de la Maternité qui lui assure ses besoins et soins vitaux, il manque d’amour et d’attention maternelle, de stimulation pour qu’il se développe normalement, comme tout enfant. Des sages-femmes de l’hôpital, en accord avec les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et de la direction de l’hôpital, ont des permissions qui leur sont accordées pour emmener l’enfant chez elles quand elles ne travaillent pas et le ramener à l’hôpital, à la reprise de leur service. Sophie*, 40 ans, l’une d’entre elles, garde un peu plus longtemps Joe avec elle, à son domicile, courant des mois de septembre et octobre. Et les liens se créent. Le comportement de Joe change, évolue. Il ne pleure plus. Il sourit. Il est bien.
« C’est Joe qui est venu à moi »
« Je n’étais pas du tout en attente ni en demande d’un enfant, C’est Joe qui est venu à moi », explique Sophie qui dès le mois d’octobre fait des démarches pour être nommée Administratrice ad hoc de l’enfant. Une nomination actée par le Juge des tutelles des mineurs de Saint-Martin, le 3 novembre 2016. Un contact est également établi entre Sophie et la mère biologique de Joe. Et cette dernière, par un acte notarié réalisé à la Dominique, formule sa volonté de déléguer son autorité parentale au profit de Sophie.
Une machine administrative impitoyable
Mais pendant ce temps, le rouleau compresseur de l’administration s’est mis en action, et le petit Joe a été admis comme pupille de l’Etat. Les fonctions d’administratrice ad hoc confiées à Sophie prenaient fin de plein droit le 16 décembre dernier. Elle est alors sommée de ramener l’enfant à l’hôpital dans le but qu’il soit placé en famille d’accueil. Un déchirement pour Joe et pour Sophie. Et malgré la blessure provoquée par la brutalité et la rapidité de cette décision, Sophie accepte cette décision administrative, prépare le petit Joe ainsi que ses affaires pour qu’il soit repris par les services de l’A.S.E., puis placé dans une famille d'accueil en vue de l’adoption.
Un jugement en sa faveur mais pourtant…
Elle décide alors d’intenter un recours contre l’arrêté pris portant admission de l’enfant en qualité de pupille de l’Etat et de demander l’autorité parentale. Un recours déclaré recevable par le Tribunal de Grande Instance de Basse-Terre. Et alors que Sophie n’a plus eu le droit d’être en contact avec l’enfant depuis ce 16 décembre, un jugement en sa faveur, et dans l’intérêt suprême de l’enfant a été rendu le 23 février dernier, annulant l’arrêté de la Collectivité portant sur l’admission en tant que pupille de l’Etat et accordant à Sophie la délégation totale de l’exercice du droit parental, avec exécution provisoire, en d’autres termes, immédiate. Pour autant, la Collectivité et les services de l’A.S.E. refusent d’obtempérer.
Décision administrative VS amour « maternel »
Contactés, les différents services refusent tout commentaire de cette affaire, prétextant qu’elle est toujours en cours. Nous avons rencontré Sophie, une femme blessée, inquiète pour Joe qu’elle a pris sous son sein depuis sa naissance, et surtout déterminée à aller jusqu’au bout pour que ce nourrisson, puisse avoir droit à une vie emplie d’amour, malgré un début de vie difficile. Et son recours aujourd’hui est de rendre publique via la presse cette affaire, les décisions de justice ne faisant apparemment pas foi devant les services de la Collectivité et de l’A.S.E.
Certes, et heureusement qu’il existe une protection sociale à l’enfance qui s’avère être nécessaire et efficace dans de nombreux cas. Mais dans ce cas-là précis, où l’on a affaire à une femme qui a montré sa détermination à vouloir sauver un enfant de l’abandon et à lui apporter l’amour dont il va avoir besoin pour se construire, comment peut-on mettre dans la balance « une affaire juridique en cours » ? Où est ici l’intérêt de l’enfant ? Il va être placé dans une famille d’accueil contre rétribution ? Il sera ensuite adopté ? Les lois en la matière mériteraient bien que l’on s’y attarde pour y apporter quelques bémols…
*les prénoms ont été volontairement changés.