Drogue et alcool : Saint-Martin face à l’addiction
Alors que le mouvement «Dry january» ou mois sans alcool fêtait ses 10 ans l’année dernière, nous avons interviewé la Croix-Rouge de Saint-Martin afin de faire un point sur le phénomène d’addiction sur l’île.
UNE CONSOMMATION DÈS LE CM2
Chaque semaine, le Csapa, centre de soins d’accompagnement et de prévention des addictions situé à Marigot vient en aide aux personnes en prise à tous types d’addictions : écrans, tabac, jeux d’argent, mais surtout alcool, cannabis et crack, qui constituent l’essentiel de son champ d’intervention sur l’île. Dans ce centre géré par la Croix-Rouge et financé par la sécurité sociale, l’alcoolodépendance concerne majoritairement trois types d’individus: les repris de justice dans l’obligation de se faire traiter pour leur addiction et transférés par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Viennent ensuite les alcooliques souffrant de pathologies liées à leur addiction et qui viennent sur recommandation de leur médecin pour se faire accompagner dans la durée. Et enfin, les jeunes consommateurs, qui sont encadrés par un psychologue et une éducatrice spécialisée:«Dans le cadre de notre activité, nous détectons des pathologies addictives très tôt, parfois dès la 4ème, déplore le docteur Olivo. Souvent avec des troubles mentaux sous-jacents de type dépression, troubles anxieux et trouble du spectre autistique sur fond de forte précarité». Les jeunes repérés par le Csapa sont ensuite réorientés vers le centre médico-psychologique de Marigot pour recevoir le traitement et l’accompagnement psychiatrique nécessaires. Mais les choses ne sont pas toujours si simples, y compris pour les personnes sans antécédents particuliers: «Les 12-13 ans qui fument du cannabis baignent dans une culture caribéenne qui valorise cette consommation, reprend le docteur Olivo. Il y a donc une généralisation de cet usage avec des produits de plus en plus forts qui sont parfois consommés dès le CM2 pour faire comme son grand frère ou comme sa bande de copains. C’est plus du mimétisme que la recherche d’un effet particulier», ajoute-t-il.
DES CONSULTATIONS GRATUITES ET CONFIDENTIELLES POUR LES 12-25 ANS
Pour répondre à cette problématique, le dispositif national CJC (consultation jeune consommateur) qui est une prise en charge sur mesure des 12-25 ans du Csapa intervient à l’intérieur des lycées et dans les collègues à partir de l’année prochaine sur l’île. Il propose des entretiens gratuits et confidentiels, seul ou accompagné d’un parent, ainsi qu’un accompagnement dans la durée pour sortir de l’addiction. L’enjeu est d’autant plus important que selon le médecin généraliste, cette banalisation de l’usage du cannabis ne prend pas en compte l’impact de cette drogue sur les performances scolaires et même au-delà :«Chez les fumeurs anciens et chroniques de cannabis, des études révèlent des capacités professionnelles largement inférieures à celle des autres. De nombreuses recherches se penchent aussi sur les effets de la drogue et l’alcool durant la grossesse et sur le lien potentiel avec l’augmentation du TDAH (trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), et d’autisme, même en prenant en compte le renforcement des moyens de diagnostics».
DES RÉSULTATS LIMITÉS
S’il est difficile de dissuader les jeunes d’arrêter le cannabis ou l'alcool à forte consommation, les choses ne sont pas plus évidentes avec les repris de justice accueillis au Csapa de Marigot :«Ils constituent la file active la plus difficile à accompagner car ils ne sont pas demandeurs de soins et viennent simplement par obligation, explique le docteur Olivo. Ce sont des dealers pris sur le fait ou des conducteurs contrôlés en état d’ivresse, poursuit-il. Comme ils ne sont pas à l’initiative de la démarche, on ne peut pas vraiment les aider ».
Autre fléau sur l’île et dans la région, le crack, qui est un dérivé de la cocaïne très concentré et très toxique sous forme de cailloux et envahit les centres villes de Fort-de-France, de Pointe-à-Pitre, Marigot, mais aussi la plupart des grandes villes occidentales. Que fait la force publique ? Des moyens sont investis via la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) et des appels à projets dans le domaine de l’addiction et sur la prévention routière à Saint-Martin «mais les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances», admet le docteur. Le problème selon lui, c’est «qu’il y a une grosse carence sur le sujet de la prévention en France et en particulier ici où l’on passe à côté. Il n’y a pas de messages de santé publique pour inciter les gens à moins boire, l’alcool et le tabac sont peu taxés, et sont donc très bon marché et servis en à haute dose dans les bars. On peut même acheter un litre de Ricard à 45° pour moins de 5 euros en magasin. Sans compter les affiches énormes promouvant les boissons alcoolisées côté hollandais, alors qu’elles ont disparu en Europe.» Il est indéniable que la destination attire justement pour sa fête et son insouciance et que cette manne touristique rend l’équation d’autant plus complexe.
COMMENT EN SORTIR ?
Les usagers du Csapa parviennent-ils à s’en sortir ? « Quelquesuns », répond le docteur Olivo en admettant que l’addictologie est «une spécialité déprimante». Il cite par exemple le cas d’une dame de 50 ans souffrant d’hépatite à cause de sa consommation et qui, malgré plusieurs cures de 9 mois pour femmes addictes a fini par rechuter après être retournée à son domicile et à son quotidien, celui-là même qui avait fait le lit de son addiction. «Pour évoluer, il faut changer de vie, affirme-t-il. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Si les personnes poursuivent dans la même voie, lorsque le stress revient, ils retournent systématiquement à la seule manière qu’ils connaissent pour le canaliser. Pareil pour le cannabis dont beaucoup dépendent pour dormir, pour se détendre, etc. On ne peut pas continuer ce qu’on a toujours fait et voir du changement. Il faut modifier ses habitudes. Et comme notre cerveau n’est pas fait pour le changement, c’est donc très dur à faire. Sans compter les responsabilités qui rendent ce changement compliqué à mettre en place : crédits, familles, emploi, etc. Cela demande une vraie volonté d’y arriver, par-delà les problèmes mentaux et les ennuis judiciaires». Les cures de 4 à 6 semaines au sein de l’unité spécialisée de Guadeloupe ne suffisent donc pas à sortir les patients de leur accoutumance. Et même si tout est pris en charge à l’instar des patchs pour les fumeurs, la résilience mobilisée, très variable d’un individu à l’autre, reste in fine l’élément déterminant pour la personne concernée.