Sécurité routière : sortir de la culture de l’impunité
Vendredi dernier, une conférence de presse était organisée à l’hôpital Constant Fleming en présence du préfet délégué Vincent Berton. L’occasion de communiquer quelques chiffres et de donner la parole aux médecins urgentistes placés en première ligne.
LE NOMBRE DE BLESSÉS HOSPITALISÉS MULTIPLIÉ PAR DEUX EN 2023
Entouré du chef de service des urgences des Iles du Nord, de l’officier adjoint du commandement de la gendarmerie de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (COMGED), et du commandant des sapeurs-pompiers, le préfet Berton a organisé une conférence de presse vendredi afin de dresser un état des lieux de la sécurité routière sur l’île.
Certes, certains points sont encourageants comme la sanction du non-port de casque ou des scooters non réglementés aux abords des écoles en lien avec l’Éducation Nationale, l’obligation pour les organisateurs d’évènements de type SXM festival d’engager des actions de prévention (stands d'alcootests notamment), ou encore l’investissement financier pour améliorer l’éclairage de la voirie aux terres basses, cependant, «Saint-Martin reste l’un des territoires français avec le plus fort taux d’accidentologie, a déploré le préfet en admettant qu’en la matière, « l’île part de loin».
En 2023, 29 accidents ont été comptabilisés avec 33 blessés dont 23 hospitalisés pour plus de 24h. Une dégradation nette par rapport à 2022 puisque l’on dénombrait alors 11 blessés hospitalisés. Pas de fatalité pour autant puisque «l’immense majorité des blessés et des accidents graves sont liés à des comportements à risque comme l’usage du téléphone, la conduite sous stupéfiants et alcool, et très peu à l’état de la voirie», selon Vincent Berton. Par ailleurs, sur la route, pas de déterminisme puisque «tout le monde est concerné indépendamment de l'âge, de l'origine ou du mode de transport».
Et pour rendre compte de la situation, la parole a été donnée aux médecins urgentistes placés en première ligne. L’occasion pour le président de la commission médicale Pierre-Marie Linet de partager une «vision plus défaitiste» que les chiffres annoncés. En effet, les services hospitaliers ont enregistré non pas 23 mais 55 blessés hospitalisés en 2023, différence de comptabilité statistique oblige. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la traçabilité des accidentés n’est pas automatique et n’inclue que les personnes admises en hospitalisation, pas les victimes se présentant pour des soins légers en ambulatoire. Même chose pour les personnes qui seraient transportées côté hollandais. Il faut aussi soustraire les victimes sans permis de conduire, sans assurance, sous influence, ou armées, qui prennent la fuite avant l’arrivée des secours et ne sont pas donc comptabilisées : «Si l’on n’intervient pas extrêmement rapidement après un accident, les véhicules disparaissent », explique François Deneufgermain, officier adjoint du COMGED. Impossible ensuite d’obtenir des informations en dehors de l’hôpital.
Le préfet et le commandant l’admettent, «les chiffres sont très probablement sous-estimés par rapport à la réalité même si l’évolution qu’ils montrent et la cinétique sont fiables».
UNE CIRCULATION PLUS DENSE ET PLUS DANGEREUSE
Au quotidien, 50% de l’activité de la SMUR (Structure Mobile d’Urgence et de Réanimation) consiste à prêter assistance aux «jeunes en deux roues, beaucoup plus à risque d’avoir de la traumatologie visible». Mais les 4 roues ne sont pas en reste, y compris du côté des touristes croisiéristes qui plébiscitent les ballades en quad :«Ils maitrisent mal leurs véhicules, sont plutôt insouciants, et se retrouvent au milieu d’une circulation en constante augmentation depuis 10 ans».
Non sans conséquences :«Avant, on intervenait pendant les pics de trafic, rapporte le commandant des sapeurs-pompiers Cyrille Pallud. Maintenant, la circulation est dense toute la journée et on gère l’accidentologie de manière quasi permanente, ce qui est inhabituel pour nous.»
Même sentiment du côté du docteur urgentiste Eric Meignie qui, après 8 ans passés aux urgences, observe essentiellement deux catégories d’accidentés: en journée, des jeunes en deux-roues sans casque «avec prise de risque maximale, avec ou sans stupéfiants », et des jeunes de retour de soirée en voiture avec de gros accidents plus souvent mortels.
DOUBLEMENT DES ACTIONS RÉPRESSIVES
Les zones les plus accidentogènes avec intervention de la SMUR restent la grande ligne droite de Hope Estate, Bellevue et les terres basses. Or : «Nous n’avons pas de centre de traumatologie comme dans les grands hôpitaux, reprend l’urgentiste. La nuit, le scanner est fermé et il faut rouvrir tout une logistique pour les gros accidents nocturnes. C’est compliqué pour nous. J’ai aussi travaillé en Guadeloupe, poursuit-t-il, et j’ai le sentiment que l’accidentologie ici est plus importante ».
Pour ne rien arranger, l’absence de spécialités comme la neurochirurgie nécessite de transférer les patients en Guadeloupe, un procédé « lourd de conséquences pour le patient et le système hospitalier» abonde Pierre-Marie Linet. Le retour à Saint-Martin pour ces patients n’est pas plus simple puisque l’île ne possède pas de plateau technique ou de trauma center, «ça complexifie largement cette accidentologie qui finalement ne se résume pas à un instant T ».
Beaucoup de mobilisation donc, mais malgré le doublement des actions répressives, les effets sur le terrain restent quasi-nuls : «Les gens ne peuvent pas se désister de leur propre sécurité, reprend François Deneufgermain. Certains croient dans leur bonne étoile ou s’imaginent qu’ils passeront entre les gouttes. Beaucoup de fausses croyances sont très ancrées. On est récemment intervenus pour un accident où l’ automobiliste avait 0,90% gramme d’alcool par litre de sang et lorsque l’on a interrogé la passagère à côté, elle nous a répondu que son amie avait toujours conduit sous alcool sans problème. Or, le permis de conduire n’apprend pas à gérer le triple de sa vitesse sur un virage par temps de pluie, et personne ne sait conduire sous alcool. A la moindre surprise ou imprévu, la vigilance est fortement alterée.»
En plus des actions mises en place, le préfet a annoncé le développement de la coopération avec Sint Maarten et des actions coordonnées avec la KPSM. La présence des forces de l’ordre sera également intensifiée aux terres basses et sur d’autres points accidentogènes de l’île. Comment mettre un terme à la culture de l’impunité et à l’émulation de certains comportements dangereux sur les réseaux ? En renforçant le travail éducatif et préventif, et en trouvant des ambassadeurs de quartier. En attendant, l’urgentiste Eric Meignie l’assure: «Ce sont ces jeunes insouciants que l’on va continuer à secourir sur les routes. »